Vincent a 43 ans. Il souffre d’une insuffisance rénale terminale et, comme 620 autres Québécois, il attend une greffe. Pour rester en vie, il doit se soumettre à des traitements de dialyse trois fois par semaine, pour quatre heures et demie.

L’an dernier, il rencontrait celle qui allait devenir la femme de sa vie via Facebook. Son cathéter le gênait, il lui a simplement proposé une balade en moto. Il y a quelques mois, elle entreprenait une série d’examens pour savoir si elle pouvait donner un rein à son amoureux. Miracle, les gènes de Vincent et Mélanie sont aussi compatibles que leurs personnalités. L’intervention chirurgicale est prévue pour la fin de l’année. L’histoire aurait pu se terminer là et aurait généré des cœurs sur les réseaux sociaux, en donnant espoir tant à ceux qui attendent une greffe que l’amour. Mais il y a un mais. Mélanie n’a pas d’assurance salaire. Le couple a dû se tourner vers le sociofinancement pour éponger les pertes que l’arrêt maladie de Mélanie va occasionner.

Un programme insuffisant

Au Québec, un programme de remboursement des dépenses aux donneurs vivants a été mis en place en 2011 par le gouvernement du Québec et est administré par Transplant Québec. Le problème, c’est que ce n’est qu’une aide de dernier recours. Le programme comble les pertes de salaire pour un maximum de 400 $ par semaine, une fois toutes les autres sources de revenus soustraites (assurance-emploi, vacances, congés maladie, etc.). Selon l’IRIS, un ménage composé d’une personne seule a besoin de 483 à 669 $ par semaine pour vivre dignement, hors de la pauvreté.

Du point de vue médical, la greffe provenant d’un donneur vivant est généralement le meilleur traitement pour les personnes qui souffrent d’insuffisance rénale.

Le taux de survie après cinq ans frôle les 90 %, et le greffon demeure fonctionnel de 15 à 20 ans en moyenne.

Financièrement aussi, la greffe est la meilleure option. Selon l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), une dialyse coûte 60 000 $ par an par patient. Par comparaison, une greffe rénale ne coûte que 23 000 $, auxquels on ajoute quelque 6000 $ annuellement pour les médicaments antirejet. Je fais le calcul pour vous : une transplantation permet à l’État d’économiser 250 000 $ par personne, par période de cinq ans.

Refus d’indemnisation

Quand j’ai commencé les démarches pour donner un rein anonymement, j’ai communiqué avec mon régime d’assurances collectives pour m’assurer que j’aurais bien un revenu pendant mon congé de maladie de huit semaines. J’ai eu de la chance, ce type d’intervention était couvert. Mais d’autres régimes refusent froidement d’indemniser les personnes qui souhaitent donner un rein puisqu’il s’agit d’une intervention volontaire, comme une augmentation mammaire.

Lisez la chronique de Rima Elkouri « Un don de rein, un joli rien »

On demande aux donneurs de subir d’innombrables tests et de multiplier les visites à l’hôpital. De s’exposer aux risques d’une importante chirurgie, de passer deux mois en convalescence.

Tout ça sans réel bénéfice, si ce n’est que la satisfaction d’aider. N’est-ce pas suffisant sans qu’ils aient aussi à perdre des revenus ?

Des études récentes montrent que la suppression des freins financiers peut augmenter le nombre de transplantations de reins de donneurs vivants. En 2020, le Québec était une des provinces canadiennes avec les plus faibles taux de don vivant par million d’habitants à 4,9, contre 12,8 pour l’ensemble du pays.

Ailleurs dans le monde, des pays comme Israël, les Pays-Bas et la Nouvelle-Zélande font nettement mieux que nous, avec des taux entre 18,75 et 31,6. Ces pays ont en commun un généreux programme de compensation des pertes financières des donneurs qui vont jusqu’à 100 % des pertes financières en Nouvelle-Zélande et incluent des déductions fiscales et le remboursement de séances de psychothérapie en Israël. Le programme néerlandais est cité en exemple par l’Union européenne. Il comble les pertes financières jusqu’à 2600 € par semaine (l’équivalent de 3400 $) et rembourse les frais d’une aide domestique (par exemple, pour faire les repas ou le ménage) jusqu’à concurrence de 300 €, soit près de 400 $.

Les personnes qui souffrent d’insuffisance rénale ont besoin de davantage de donneurs, et il y a certainement des dizaines de Québécois prêts à subir quelques désagréments pour offrir une nouvelle vie à un concitoyen. Mais il faut bonifier le Programme de remboursement des dépenses aux donneurs vivants pour éviter que leur geste de solidarité ne leur coûte un bras.

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