« Nous avons rencontré plusieurs exemples d’aménagement correct parmi les fermiers. Les plus habiles récoltaient leur bois en éclaircissant la forêt, augmentant ainsi leur croissance annuelle. Ces derniers étaient de bien meilleurs forestiers que ceux des compagnies, puisqu’ils prenaient une récolte des mêmes lots année après année pendant des décades sans aucune diminution de la quantité et de la qualité. »1

On dit que l’agroforesterie est une voie d’avenir pour les régions rurales. On parle alors d’avoir dans le même champ des arbres et des cultures comme cela existait en Normandie et ailleurs, où les vaches broutaient sous les pommiers ou sous les arbres aménagés en taillis. En fait, l’agroforesterie a toujours existé au Québec. La Gatineau est une des régions où elle était la plus développée. Les champs n’occupant que 40 % des fermes, on a dû tirer le maximum du boisé. Les animaux, même les porcs, étaient pacagés dans le boisé et ne venaient dans les champs qu’après la fenaison.

Jusqu’aux années 1960, la plupart des agriculteurs de la Gatineau aménageaient leur boisé comme leurs champs, suivant une rotation précise de 3, 5 ou 7 ans. C’est ainsi que M. O. Lapointe, chaque année, de 1918 à 1958 a récolté selon une rotation de cinq ans, dans son boisé de 64 hectares, 50 cordes de résineux et 30 cordes de feuillus par an, soit 3,5 mètres cubes par hectare. C’est cinq fois plus que dans la forêt publique. Certains faisaient mieux encore. Comme B. Hoyt, du Nouveau-Brunswick, qui, sur une terre de sapin de 1000 acres, obtenait une production de six mètres cubes par hectare.

Ces agriculteurs ne plantaient pas d’arbres, mais protégeaient soigneusement la régénération. Ils pratiquaient l’élagage et conservaient des peuplements de pins matures en n’y prélevant qu’un arbre sur trois afin d’avoir à portée de main du bois d’œuvre.

La plupart de ces boisés ont été vidés après la vente de la ferme alors qu’à partir des années 1960, 100 000 petits agriculteurs ont dû quitter leur occupation, faute de revenus suffisants. Cet aménagement intensif a disparu et est même oublié des petits-fils. Les agriculteurs survivants, ainsi que les autres propriétaires, n’ont ni le temps, ni l’équipement, ni les connaissances nécessaires, ni besoin de ce revenu.

De plus, au Québec, la compétition de la forêt publique, qui jouit de nombreuses subventions fiscales, financières, techniques, abaisse les prix artificiellement et rend peu rentable la récolte et à plus forte raison l’aménagement en forêt privée.

Sans la forêt, l’agriculture n’aurait jamais existé dans la plus grande partie du Québec. Même dans les plaines du Saint-Laurent, le boisé a joué un rôle important pour la construction, le chauffage, le sirop d’érable, etc. Jusqu’à l’arrivée de la cuisinière électrique, on conservait un boisé de ferme au trécarré.

Dans le reste du Québec, la forêt privée et publique a été et est toujours importante pour les agriculteurs. En fait, la forêt a toujours subventionné l’agriculture. On peut même se demander s’il n’aurait pas mieux valu aménager la forêt plutôt que de la vider pour subventionner l’agriculture.

On pourrait, dans bien des cas, faire aussi bien que la Suisse, qui produit dix fois plus de bois par hectare que le Québec, soit 7 mètres cubes par hectare. Une forêt aménagée ainsi, une érablière, le sapin de Noël, produiraient autant et parfois plus en revenu brut que les céréales ou le veau d’embouche.

En s’inspirant de leurs méthodes, on pourrait restaurer la forêt privée et la forêt publique de proximité et produire plus de bois de meilleure qualité près des usines.

1. J. Edgar Boyle, Ma vie et mon expérience dans la forêt (My life and Times in the Bush), 1988. p. 190. M. Boyle a acheté le bois de 500 fermiers de la Gatineau pendant 40 ans.

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