Dans l’évaluation du coût des fonds publics, une erreur économique importante et omniprésente est véhiculée par des responsables des secteurs public et privé et parfois du milieu universitaire.

Étant donné que le coût d’emprunt est plus élevé pour une entreprise privée que pour une entreprise du secteur public, le coût de réalisation d’une activité (investissement, production, distribution, fourniture de biens et services) sera nécessairement plus faible ceteris paribus dans le secteur public que dans le secteur privé.

S’il est vrai que les gouvernements obtiennent des taux d’intérêt plus bas, l’erreur dans l’argument ci-dessus vient du fait que le coût total des emprunts publics est caché à l’observateur des taux d’intérêt. Pourquoi les entreprises publiques obtiennent-elles un coût de financement inférieur, même lorsque leurs activités, utilisant vraisemblablement la même technologie et les mêmes facteurs de production, sont identiques à celles d’une entreprise privée et donc exposées aux mêmes facteurs de risque ?

Parce que les gouvernements ont le droit et le pouvoir de lever des impôts supplémentaires pour rembourser leurs prêteurs, si nécessaire, c’est-à-dire si leurs activités ou projets échouent ou ne répondent pas aux attentes.

Les entreprises privées n’ont pas cette option, ce qui justifie un taux d’intérêt ou de rendement plus élevé de la part des prêteurs ou des investisseurs.

Les emprunts publics sont sans risque pour les prêteurs, d’où le faible taux d’intérêt requis. Cependant, du point de vue des citoyens contribuables et clients finaux, le droit et le pouvoir du gouvernement d’augmenter les impôts et taxes ou de réduire la qualité des services pour couvrir les difficultés financières de ses projets a un coût bien réel.

Ce coût supporté par les contribuables est simplement balayé sous le tapis. L’emprunt public peut être sans risque pour les prêteurs, mais certainement pas pour les contribuables. En d’autres termes, tous les risques des projets sont transférés aux contribuables, ce qui fait que l’État n’en subit aucun et peut donc se financer à un taux sans risque.

La justification des énormes déficits publics sur la base d’un argument voulant que les coûts de financement soient plus faibles pour le public que pour le privé est aussi fallacieuse.

Dans un article récent (« A Pervasive Economic Fallacy in Assessing the Cost of Public Funds », Canadian Public Policy Volume 48 Issue 1, March 2022), je discute de cas précis où cette erreur est présente dont, entre autres, le Fonds des générations du Québec, le REM de CDPQ Infra et le mégaprojet hydroélectrique Site C de BC Hydro.

Dans le premier cas, la comparaison entre le coût de la dette du Québec et le rendement du Fonds géré par la Caisse de dépôt et placement est boiteuse car le coût de la dette est grossièrement sous-évalué.

Dans le second cas, c’est la compensation du capital investi par le gouvernement à un taux équivalent au coût de la dette publique qui est fautive et représente une forme de spoliation des citoyens contribuables.

Dans le troisième cas, la profitabilité du projet dépend en bonne partie d’une fausse évaluation des coûts basés sur les faibles taux d’intérêt payés par le gouvernement sur les fonds investis dans le projet Site C.

Un exemple plus récent de cette erreur majeure nous est fourni par le calcul de la performance financière d’Investissement Québec (IQ), le puissant Fonds d’investissement du gouvernement du Québec.

Lisez l’article « La flambée des primes se poursuit chez IQ »

Dans son rapport annuel 2021-2022 (juin 2022), IQ écrit : « Investissement Québec vise un seuil de rendement moyen à long terme des capitaux propres équivalent au moins au taux d’emprunt du gouvernement du Québec. Cette cible de rendement est spécifiée dans la Loi sur Investissement Québec mise à jour en 2019. … La Société a enregistré un rendement ajusté des capitaux propres 3 ans de 9,3 % pour l’exercice 2021-2022 en comparaison à 9,6 % lors de l’exercice précédent. Le taux d’emprunt comparable du gouvernement du Québec s’élève à 1,9 % pour l’exercice. Le rendement ajusté des capitaux propres des trois derniers exercices excède de 7,4 % la cible fixée. »

L’erreur est flagrante. L’analyse erronée du coût des capitaux propres d’IQ, de toute évidence cautionnée, voire entérinée par le Bureau du premier ministre, le ministère de l’Économie et de l’Innovation et le ministère des Finances, permet de justifier en partie les importantes primes au rendement du personnel et des dirigeants d’IQ.

J’aborde également dans mon article le cas générique des programmes publics de soutien aux entreprises (aides, prêts, garanties, subventions, etc.), programmes souvent justifiés par l’argumentaire fallacieux que le coût de financement est plus faible pour le public que pour le privé. En réalité, le coût total d’emprunt, plus généralement le coût total du capital public, pour des activités et projets similaires est le même pour le public et le privé.

Une gestion moins laxiste des fonds publics est nécessaire, voire urgente. Les erreurs de calcul, la désinformation, la mauvaise gestion et l’analyse fallacieuse des risques finiront par se retourner comme toujours contre les citoyens, tant contribuables que consommateurs.

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