Il fallait faire quelque chose. La violence chez les jeunes montait en flèche, les évènements de violence faisaient les manchettes jour après jour, et neuf jeunes avaient été inculpés pour meurtre l’année précédente. En réponse à cette situation, Montréal a tenu un forum public de trois jours, au cours duquel des représentants de différents secteurs étaient invités à travailler de façon concertée pour enrayer le cycle de la violence.

Le forum dont je parle, ce n’est pas celui qui s’est tenu récemment autour de la violence armée et que l’Institut du Nouveau Monde a documenté dans trois rapports publiés la semaine dernière, mais bien un forum étonnamment similaire ayant eu lieu au printemps 1994.

Ce premier forum, bien qu’il eût été organisé par la Ville, avait de toute évidence comme objectif de convaincre les citoyens de la nécessité d’élargir le rôle de la police. L’idée d’une police communautaire était relativement nouvelle à l’époque, et la présentation de la police lors du forum laissait entrevoir un monde dans lequel une police-jeunesse occuperait une place prépondérante dans la vie des jeunes, jouant un rôle similaire à celui d’un organisme communautaire.

Si certains participants au forum ont bien accueilli cette vision, beaucoup s’y sont opposés. « On est presque à croire que certains [policiers] seront travailleurs de rue, d’autres travailleurs sociaux », a commenté ironiquement le porte-parole d’un organisme.

En effet, la police avait déjà grandement élargi son rôle auprès de la jeunesse au cours des cinq années précédentes. Les rapports annuels de la police de Montréal de 1989 et 1990, par exemple, révélaient que la police-jeunesse se servait de sa présence dans les écoles secondaires du nord-est de la ville pour « connaître les noms des leaders utilisant la violence en milieu scolaire » et « surveiller les réseaux de trafic de drogues et autres activités criminelles ».

Finalement, un grand nombre d’organismes ont rejeté l’idée selon laquelle une présence policière accrue était la solution plutôt que les actions en milieu communautaire et scolaire. C’était l’avis, entre autres, du Regroupement des organismes communautaires autonomes jeunesse, qui demandait : « Comment [la police] entend-elle s’y prendre pour résoudre les problèmes de violence chez les jeunes sans s’attaquer aux problèmes d’ordre institutionnel et économique dont ils sont les premières victimes ? »

À l’instar de nombreux participants au forum, le Regroupement a revendiqué qu’on investisse davantage dans la vie des jeunes et dans des programmes de soutien qui les éloignent de la violence. Or, ces investissements n’ont jamais été faits.

Ceux qui se souviennent du forum de 1994 ont sans doute eu une impression de déjà-vu dernièrement. Le forum sur la violence armée de cette année, organisé par le SPVM et non par la Ville, portait sur les mêmes enjeux, et on y a proposé essentiellement les mêmes solutions.

Encore une fois, on a présenté le renforcement de la présence policière comme une panacée, cette fois-ci en mettant de l’avant un meilleur partage d’informations entre le secteur communautaire, les institutions publiques et la police. On en a aussi appelé à une meilleure concertation entre les différents acteurs et à l’adoption des meilleures pratiques pour contrer la violence.

Comme par le passé, ces propositions ont été accueillies avec enthousiasme par certains, mais avec réticence par beaucoup d’autres. Plusieurs organismes ont souligné avec raison que leur travail auprès des jeunes dépendait de leur indépendance à l’égard de la police. « Si l’intervenant du communautaire discute avec la police, explique un porte-parole, le lien de confiance est grillé. »

Pour ce qui est de l’importance de la concertation, de nombreux participants ont expliqué qu’ils collaboraient depuis longtemps déjà et que c’est seulement le manque de financement soutenu qui leur mettait des bâtons dans les roues.

Malheureusement, rien ne laisse présager une augmentation du financement dans le secteur communautaire. Montréal a utilisé 200 000 $ de la minuscule enveloppe allouée à son programme de « prévention communautaire de la violence » pour organiser le forum. En clôture de l’évènement, la mairesse Valérie Plante a annoncé de nouveaux investissements de 7 millions de dollars pour des projets communautaires proposés par des jeunes et différents projets d’infrastructure, mais aucun financement pour les organismes qui se spécialisent dans la prévention de la violence.

Parallèlement, on continue de hausser le financement octroyé au SPVM. Son budget a notamment augmenté de 45 millions de dollars en 2022, et Québec vient de lui transférer 4 millions de dollars pour accroître sa présence dans les écoles.

Un participant au forum de 1994, Neil Armand, résume bien la situation : « La Ville continue de faire la même chose, mais espère des résultats différents. »

Il est temps que nos élus justifient leur penchant pour des politiques infructueuses et leur préférence pour les investissements servant à surveiller et punir les jeunes que l’on marginalise plutôt qu’à leur fournir les ressources dont ils ont besoin pour s’éloigner de la violence et s’épanouir.

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