Dans un article paru le 4 juin dernier⁠1, La Presse rapportait l’histoire d’un homme de 70 ans mort dans son auto après avoir été évincé du logement qu’il habitait depuis 30 ans.

Cette histoire tragique est pourtant malheureusement loin d’être un cas isolé. La dernière année a en effet été marquée par plusieurs nouvelles concernant une variété de ménages – souvent parmi les plus vulnérables : aînés, familles, personnes en situation précaire – évincés à la suite de l’achat des propriétés qu’ils habitent par des entreprises privées ou des individus. Ces derniers les retapent dans le but avoué de les louer à des prix inabordables pour des personnes à revenu faible ou modeste.

À quelques jours du 1er juillet, alors que de nombreux ménages s’inquiètent de savoir où ils logeront, on a plus que jamais l’impression que l’histoire est appelée à se répéter sans fin.

La loi empêche en effet un propriétaire d’évincer un locataire de plus de 70 ans s’il habite dans son logement depuis plus de 10 ans, comme c’était le cas de M. Robitaille, mort dans sa voiture. Mais cela demeure une protection minime, loin de s’appliquer à l’ensemble des locataires, et encore faut-il avoir les ressources et l’énergie pour mener un combat judiciaire devant le Tribunal administratif du logement (TAL) contre des propriétaires riches et sans scrupules.

Sortir de la logique de la marchandisation de l’habitation

Au-delà des protections légales, le logement à but non lucratif constitue une solution de choix pour prévenir et endiguer les crises du logement.

En effet, les organismes en habitation à but non lucratif ne cherchent pas le profit : ils gèrent des logements à l’abri de la spéculation immobilière en garantissant abordabilité et sécurité aux locataires de façon pérenne. À la différence des HLM qui sont gérés par l’État, les OSBL d’habitation sont administrés par des conseils d’administration dont les membres sont issus de la communauté. Ils offrent un potentiel de développement extraordinaire. Au-delà d’offrir un toit à de nombreuses personnes – 20 000 ménages dans l’île de Montréal –, ces organismes communautaires en habitation permettent aussi de contrer l’isolement de personnes et participent à créer des milieux de vie inclusifs.

Le gouvernement du Québec, qui accuse un énorme retard dans la construction de logements sociaux et communautaires, trouve probablement que ces investissements coûtent trop cher.

Pourtant, une étude de la Société d’habitation du Québec (SHQ)⁠2 sur les impacts des programmes en logement social pour des aînés a estimé que ces derniers ont permis une économie de 103 millions de dollars par année à l’État, juste pour cette clientèle.

De plus, le gouvernement du Québec vient d’investir 280 millions sur quatre ans dans un Plan d’action interministériel en itinérance afin de soutenir de plus en plus de personnes qui se retrouvent à la rue ou presque parce qu’elles n’ont plus de solution de rechange pour se loger, comme M. Robitaille. En somme, ne pas intervenir en amont coûtera cher aux contribuables en aval. C’est également une question de santé publique.

Des expériences probantes ailleurs dans le monde

L’idée d’un marché locatif sans but lucratif peut sembler saugrenue ou encore dévolue à des clientèles très précises qui ne représentent qu’une infime partie de la population. Que nenni ! D’autres pays ont fait le choix de se doter d’un parc de logements sans but lucratif afin de maintenir la qualité de vie de leurs citoyens. Au Danemark, où la population est moindre (6 millions) que celle du Québec (8,5 millions), il existe plus de 500 000 logements à but non lucratif, tandis qu’au Québec, nous en comptons environ 185 000 (en incluant les OSBL d’habitation, les coopératives et les HLM). À Copenhague, le marché du locatif à but non lucratif (26 %) dépasse le locatif privé (20 %). Tandis qu’à Montréal, ce sont à peine 10 % des logements qui sont à but non lucratif. À Vienne, c’est 60 %. On peut assurément faire mieux.

Des histoires comme celle de M. Robitaille et comme celles des centaines de familles qui se retrouveront encore à la rue au lendemain du 1er juillet sont loin d’être une fatalité. Il nous appartient de choisir le marché locatif que nous voulons pour nos villes. Se sortir le plus possible de la marchandisation du logement, c’est aussi la preuve qu’on peut habiter autrement nos villes.

1. Lisez l’article « C’est parce qu’ils l’ont mis dehors qu’il s’est laissé mourir » 2. Consultez l’Étude sur les impacts sociaux des activités de la Société d’habitation du Québec Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion