J’ai déménagé mes pénates aux Îles-de-la-Madeleine pour un moment. Ma vue sur la mer est imprenable. Le vent se fait timide pour un mois de juin et bien que mes matins soient consacrés au travail, je garde tous mes après-midi pour les promenades à vélo ou sur la plage. L’air ici est tellement pur. C’est comme si le cristallin de la mer se transformait dans l’air en une multitude de particules que nous respirons. Comme un grand nettoyage de l’air des villes. De l’air neuf.

À Bassin, où je me trouve, il y a, comme partout ailleurs sur des îles, de nombreuses plages. Celle où je me promène fait quatre kilomètres de long avant que la mer ne reprenne ses droits pour un moment, puis qu’une autre plage se dessine devant moi au loin.

Mardi dernier, j’ai compté 23 oiseaux morts sur mon passage. Des fous de Bassan surtout, mais aussi des petits pingouins. Sur cette deuxième plage de l’autre côté du goulet, il y a des dizaines d’oiseaux, des cormorans à ce qu’on me dit.

Eux ne semblent pas touchés par la mort qui rôde. Je n’en ai jamais vu autant. Un conventum de cormorans qui émet un son rauque, un peu comme le son d’un basson, mais quelques octaves plus graves.

Je me suis laissée à penser qu’ils se regroupaient et criaient ainsi pour tromper la mort.

Ça fait plus d’un mois que les premiers oiseaux morts ont été aperçus sur les berges. Deux oiseaux, puis quatre, puis une dizaine et davantage encore.

Vendredi dernier en après-midi, sur la plage, un Madelinot nous a interpellés en nous demandant ce qu’on pensait des oiseaux.

Bien sûr, tout cela est triste. Il a continué son discours en disant que comme toujours, le gouvernement s’en lavait les mains de façon aberrante, que les Îles-de-la-Madeleine, la mer, c’est trop loin de Québec, et il a conclu en disant que peut-être l’Île-du-Prince-Édouard comprendrait mieux ce qui se passe et agirait.

Il avait l’air si affligé que je n’ai pas osé en rajouter et lui dire à quel point j’étais réellement touchée par ce que je voyais sur le rivage, non plus que j’avais en tête d’écrire là-dessus.

Bien que je vienne de Québec et que je m’inscrive en touriste dans ce magnifique archipel, je me questionne aussi et je me dis qu’il faudrait bien faire quelque chose.

Mais des enquêtes ont été faites et les conclusions sont claires. C’est la grippe aviaire qui est la cause de toutes ces morts.

Qu’est-ce que le gouvernement peut faire dans de tels cas si ce n’est que de ramasser les carcasses et d’émettre des recommandations d’usage ? L’opération de nettoyage se limite pourtant à 60 kilomètres de plages, les plus fréquentées, alors que l’archipel en compte 300. Puis, les oiseaux ne meurent pas que sur les plages, ils s’affalent aussi sur les terres.

Et là, l’entreprise que le ministère de l’Environnement a mandatée n’a pas reçu le mandat de les ramasser. Les Madelinots sont inquiets, avec raison. Ils vivent sur ce territoire avec leurs enfants, leurs animaux. Quels sont les dangers pour l’un et pour l’autre ?

J’en suis à peu près là dans mon écriture quand un pêcheur de homard me dit qu’il faudra aussi que je parle des « school » de poissons. En effet, il y a quelques semaines, des centaines, voire un millier d’éperlans ont été retrouvés morts dans la mer non loin d’ici, selon lui.

Un autre, situé plus loin dans l’île, me le confirme. Puis, presque en même temps, près de 100 000 gaspareaux ont été retrouvés ventre flottant en Nouvelle-Écosse, puis d’autres à l’Île-du-Prince-Édouard. Des incidents isolés ? Il paraît. Les causes auraient été déterminées.

Reste que les pêcheurs, ceux qui connaissent la mer autant que Neptune, sont aux aguets. Si les causes s’expliquent, un relent d’« il y a quelque chose qui se passe » flotte dans l’air du large.

Je ne suis pas biologiste, ni pêcheuse, mais je sais que la nature est fragile. Les signes ne trompent pas.

Hier, il y avait un fou de Bassan sur la plage, vivant cette fois. Il avait enfoui toute sa tête dans son plumage, recroquevillé ses pattes. On ne distinguait que son corps.

À mon approche, il a à peine remué les ailes. Ce matin, il était mort. J’ai compris qu’il s’était caché pour mourir, en paix.

Je pourrais vous faire le coup de la métaphore de l’autruche qui enfouit sa tête dans le sable.

Il y a parfois des images qui restent et qu’on ne pourra pas enfouir.

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