Le projet de loi 37 déposé le 25 mai dernier par la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, cherche à répondre à une multitude de situations abusives survenues au cours des dernières années en matière de logement. Une des modifications apportées vise à ajouter plusieurs articles afin d’encadrer les évictions des locataires de résidence pour personne aînée lorsque le propriétaire ne souhaite plus conserver le statut de résidence pour personne aînée du logement.

Bien que la ministre affirme vouloir protéger nos aînés en adoptant ces modifications, ce projet de loi risque plutôt de saper les fondements mêmes du régime de protection des locataires au Québec.

Pour comprendre cet effet pervers, il faut regarder la source de cette protection. Ainsi, depuis 1994, le Code civil du Québec ne prévoit que cinq motifs d’éviction d’un locataire qui n’a commis aucune faute :

  • le changement d’affectation (le logement devient un espace commercial) ;
  • la subdivision du logement (un six et demie devient deux trois et demie) ;
  • l’agrandissement substantiel (deux 3 et demi deviennent un 6 et demi) ;
  • la démolition du logement ;
  • et la reprise du logement par le propriétaire pour s’y loger ou loger un membre de sa famille.

En 2003 cependant, la Cour du Québec a décidé que retirer ou ajouter la certification de résidence pour personne aînée à un logement constituait un changement d’affectation, même si le logement demeurait offert à des fins d’habitation.

Sur le plan pratique, ce jugement a eu pour effet pervers de permettre aux spéculateurs immobiliers d’acheter des résidences pour personne aînée à bas prix, de les vider, puis de relouer les logements à gros prix.

Surtout qu’en prime, le fait de retirer le statut de résidence pour personne aînée est considéré comme un changement d’affectation, ces « nouveaux » logements ont des loyers exclus de tout contrôle pour cinq ans.

Une « passe de cash » facile, comme on dit en bon français. Tellement facile qu’on se demande bien comment c'est possible.

La réponse est somme toute simple. Ça n’aurait jamais dû être possible, parce que, dans l’esprit du Code civil, un changement d’affectation « tout en demeurant offert à des fins d’habitation », c’est un non-sens. C’est la reprise du logement qui permet d’expulser un locataire qui n’a commis aucune faute, tout en permettant que le logement demeure offert à des fins d’habitation.

photo patrice laroche, archives Le Soleil

Andrée Laforest, ministre des Affaires municipales et de l’Habitation

C’est ici que se trouve la plus grande faiblesse du projet de loi de la ministre Laforest : au lieu de rappeler aux tribunaux qu’un changement d’affectation « tout en demeurant offert à des fins d’habitation » n’existe pas juridiquement, il fait plutôt le choix d’encadrer spécifiquement ce type d’éviction dans le cas des résidences pour personne aînée.

Un projet de loi qui encourage les abus

Imaginons que le droit au logement est une maison. Il est protégé par des murs : le contrôle du loyer et le droit au maintien dans les lieux.

Il y a des limites à ces murs, par exemple la loi prévoit des portes (la reprise de logement) et des fenêtres (l’éviction). Pour éviter que l’on abuse du locataire, la loi prévoit que pour rentrer par la porte, l’on doit être autorisé par un gardien de sécurité.

Selon cette analogie, le jugement de la Cour du Québec de 2003 a pour conséquence que si un conducteur réussit à faire rentrer sa voiture par la fenêtre du salon, c’est qu’en réalité la fenêtre du salon est une porte de garage qui permet de passer outre le gardien de sécurité.

La conséquence – somme toute assez prévisible – est que de plus en plus de voitures essaient d’entrer chez les gens par la fenêtre de leur salon.

Le projet de loi tente ainsi de régler ce problème de voitures dans les salons, ce qui est en soi louable. Le problème découle du remède choisi. Au lieu de tenter de clarifier l’usage des portes et fenêtres, la ministre propose plutôt de mettre une rampe d’accès automobile de la fenêtre au salon, précisant simplement qu’un agent de sécurité sera placé au pied de la rampe pour s’assurer que les conducteurs de voiture rouge détiennent bel et bien un permis de conduire. Les voitures d’une autre couleur pourront s’élancer librement.

L’image est absurde, mais elle démontre bien le problème.

Une éviction pour changement d’affectation ne doit pas permettre que le logement demeure offert à des fins d’habitation.

Essayer d’encadrer ce type d’éviction pour changement d’affectation, autrement qu’en clarifiant qu’elle n’est pas légale, revient à encourager les abus et dérives futures.

En pleine crise du logement, les locataires méritent un projet de loi qui les protégera réellement contre les abus et les évictions.

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