Dans la foulée des récents propos du juge en chef de la Cour suprême du Canada, Richard Wagner1, sur la fragilité intrinsèque des institutions démocratiques et sur la nécessité d’assurer la confiance en nos institutions, il m’apparaît pertinent de rappeler que la finalité de la Loi sur la laïcité de l’État est précisément de solidifier ce qui fait le cœur de l’État.

Depuis l’avènement de cette loi, en juin 2019, tous les citoyens et citoyennes du Québec sont dorénavant titulaires d’un droit fondamental à des institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires laïques, ainsi qu’à des services publics laïques.

C’est comme si l’État donnait à tous les citoyens une police d’assurance de sa neutralité et de son engagement, actuel et futur, à respecter la liberté de religion et de conscience de tous, sans exception, pour favoriser l’égalité de chacun.

Pour cette raison, les représentants qui personnifient l’autorité de l’État doivent incarner cette neutralité de la puissance publique, en fait et en apparence. En un mot, pour dispenser l’oxygène sociétal nécessaire au pluralisme, l’État doit transcender la transcendance.

La laïcité de l’État implique l’affranchissement de l’État de l’emprise de tout pouvoir tiers – religieux ou idéologique – et la visée de l’intérêt général. Cela renforce l’intégrité des lois à venir, tout autant que l’indépendance judiciaire et la neutralité des services publics.

Il suffit de voir ce qui se passe aux États-Unis, notamment en ce qui a trait à la régression du droit à l’avortement, pour constater l’importance de la protection additionnelle qu’apporte cette loi quasi constitutionnelle.

L’État doit permettre à tous ceux qui le composent, croyants ou non-croyants, de se reconnaître en lui, afin de bâtir un monde commun, qui puisse s’inscrire dans le temps. L’État n’est pas au seul service de l’individu, mais du bien commun et de la collectivité.

Dans Condition de l’homme moderne, la philosophe Hannah Arendt réitère l’importance de bâtir un monde commun, qui « transcende notre vie », car il « est ce qui nous accueille à notre naissance, ce que nous laissons derrière nous en mourant ».

Quant à la validité constitutionnelle de la Loi sur la laïcité de l’État, il est pour le moins étonnant que le juge Marc-André Blanchard, de la Cour supérieure du Québec, en 240 pages, ne fasse jamais écho à la substance de la Loi ni à son pouvoir transformateur pour solidifier les assises d’une société démocratique.

Il fait comme si la Loi ne contenait qu’un seul article, celui sur la prohibition du port de signes religieux par certains représentants de l’État, et comme si la Charte québécoise n’affirmait pas dorénavant à son préambule « l’importance fondamentale que la société québécoise accorde à la laïcité de l’État ».

Dans son récent entretien, le juge en chef Wagner ajoute : « J’ai toujours dit que la raison des préjugés, c’est l’ignorance. Alors le plus d’informations qu’on donne aux gens, le mieux ils vont pouvoir se former une idée ». Il en va de même à mon sens pour la laïcité de l’État à l’encontre du discours réducteur actuel qui l’entoure.

Les Québécois ont fait tout un cheminement d’ouverture à l’altérité pour adopter la laïcité comme principe fondateur du Québec. J’espère que les tribunaux en feront un aussi. Protéger les institutions, c’est aussi poser des limites à l’exercice tous azimuts des droits individuels.

La Constitution est vivante et le dialogue sociétal se poursuit entre le judiciaire et le politique, puisque le juge est le fiduciaire du contrat social. La fonction de juger requiert la mise en équilibre de divers intérêts sociétaux, afin que la justice participe, elle aussi, à la réalisation de sens à travers l’histoire à laquelle toute nation aspire.

« Juger est aussi un acte politique », comme l’écrit Karine Tuil dans son roman La décision.

LISEZ le texte de Daniel Leblanc « Démocratie en danger : “Il faut être aux aguets”, avertit le juge en chef du Canada » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion