En réponse au texte de Jacques Beauchemin, « Le droit de dire “nous” », publié le 3 juin

Une précision pour commencer : je suis d’accord avec Jacques Beauchemin que le nationalisme identitaire, tel que décrit dans le film que j’ai réalisé, Bataille pour l’âme du Québec, aurait bénéficié d’une meilleure représentativité.

Mais encore fallait-il que les ténors du mouvement (Mario Dumont, Mathieu Bock-Côté, Bernard Drainville, Jean-François Lisée et Pauline Marois) acceptent de venir en parler.

Ils ont tous refusé.

Le documentaire, par ailleurs, respecte fidèlement la pensée et la trajectoire du principal militant du « nous », Jacques Beauchemin, celui qui a convaincu Pauline Marois de mettre cette corde à son arc.

Je ne doute pas non plus des bonnes intentions de M. Beauchemin ni de Mme Marois dans ce virage identitaire – qui a pourtant saigné le Parti québécois, à gauche comme à droite, de ses forces vives. Je veux bien croire que le nous se voulait « inclusif » à leurs yeux.

L’erreur était de penser qu’on pouvait changer la signification de ce mot en claquant des doigts.

Au Québec, le nous a presque toujours signifié la « majorité historique francophone », comme on aime la désigner aujourd’hui. C’est-à-dire non seulement la communauté canadienne-française, mais le combat de cette communauté pour demeurer francophone.

Quand René Lévesque parle de « nous autres », comme on l’a beaucoup souligné ces temps-ci, c’est aussi de ça qu’il parle : la situation particulière qui est la nôtre, francophones d’Amérique.

S’il est normal de vouloir garder ce combat en mémoire, il faut quand même être conscient de ce que le « nous », comme le passé qu’il invoque, charrie – du moins, si on veut s’adresser à l’ensemble des Québécois.

Qui pourrait oublier, d’ailleurs, le fameux « Voulez-vous on va parler de nous ! » lancé par Jacques Parizeau le soir du référendum ?

Comme Jacques Beauchemin le dit lui-même dans le film, ce « nous » invoquait l’exclusion et non l’inclusion.

Le nous strictement francophone, temporairement mis en veilleuse par la montée du mouvement indépendantiste qui cherchait, lui, à bâtir une arche de Noé, revenait soudainement en force, propulsé par l’amertume et la colère de la défaite.

Dans les rangs progressistes, on a voulu évidemment effacer cette bavure de la part d’un homme, un grand homme, qui nous avait habitués à bien autre chose. « Il fallait montrer qu’on n’était pas ça », comme explique Gérard Bouchard dans le film.

Or, cette « mauvaise conscience », selon l’expression de Jacques Beauchemin, serait allée trop loin. Mais y avait-il vraiment un danger d’oublier qui nous étions et d’où nous venions ?

Un danger d’effacement de soi ? Entre deux maux, celui du repli identitaire, revenu à la charge depuis l’échec référendaire de 1995, et celui de se montrer trop accommodants vis-à-vis les minorités culturelles, lequel est le plus dangereux, selon vous ?

Lequel plus menaçant pour l’avenir du Québec ?

Les réponses à ces questions déterminent votre « camp » dans la bataille pour l’âme du Québec.

Le bras de fer qui sévit depuis le soir du dernier référendum entre les vieux idéaux progressistes et les nouvelles forces conservatrices existe bel et bien, malgré la confusion qui perdure à ce sujet, savamment entretenue par la notion farfelue que le gouvernement Legault n’est « ni à gauche ni à droite », mais en « droite ligne » avec la Révolution tranquille.

Le moment décisif de cette bataille a eu lieu de 2006 à 2007 lors de la crise des accommodements raisonnables.

La nouvelle mouvance identitaire est née à ce moment-là, dans la bouche d’abord de Mario Dumont, cherchant à se faire du capital politique, et, ensuite, surprise, dans la bouche de Pauline Marois, inspirée par Jacques Beauchemin.

Choisir de fourbir le « nous » à ce moment précis, alors que les tensions sont à un maximum vis-à-vis les minorités religieuses, sans parler du passé chargé de ce vocable, choisir ce mot tout en croyant pouvoir l’utiliser de façon « inclusive » relève, à mon avis, de la pensée magique.

Je sais pour en avoir discuté avec bon nombre d’élus du PQ, qu’au sein du parti on croyait sincèrement, en brandissant les valeurs québécoises, les valeurs du « nous », on croyait porter un grand coup pour l’égalité hommes-femmes.

Seulement, cet effet de toge n’a rien changé à la situation des femmes, rien changé à la laïcité non plus, tout en piétinant les valeurs pluralistes du parti et en éloignant les jeunes, les progressistes et les immigrants.

L’adoption d’un nationalisme conservateur au sein d’un parti qui nous avait d’emblée proposé tout autre chose l’a vidé de son sens, tout en permettant l’ascension de la CAQ qui continue à faire ses choux gras des restes encore chauds du PQ.

Peut-on vraiment s’en féliciter ?

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