Alors qu’on placote autour du BBQ, une bière à la main, s’amène à l’horizon la tempête parfaite pour troubler notre insouciance : une crise alimentaire mondiale.

Les plus fortunés se scandaliseront du prix du bifteck d’aloyau ou du homard, mais pas assez pour s’en priver. Les autres devront se serrer la ceinture et un nombre grandissant iront le ventre vide.

Cette tempête parfaite est la fille des ouragans que nous connaissons bien : la pandémie, la guerre en Ukraine et le réchauffement climatique.

Il y a assez de nourriture pour tous, mais tous ne peuvent se la payer, surtout quand les prix grimpent en flèche.

Depuis le début de la COVID-19, les prix des céréales sont en hausse de 75 % et celui des huiles végétales, de 185 %, calcule l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. L’augmentation est de 67 %, selon son indice général des denrées de base, qui inclut aussi les produits laitiers, la viande et le sucre.

Le monde fait face à la pire crise humanitaire depuis la Deuxième Guerre mondiale, met en garde David Beasley, directeur exécutif du Programme d’aide alimentaire mondial des Nations unies.

Après des progrès encourageants au cours des dernières décennies, la sécurité alimentaire se dégrade sérieusement. L’inflation alimentaire a déjà ajouté 440 millions au nombre de personnes incertaines de manger à leur faim, portant celui-ci à 1,6 milliard.

Ce chiffre pourrait encore enfler de 142 à 243 millions d’ici novembre, dans le scénario probable d’un conflit qui s’enlise en Ukraine, selon une étude des consultants Eurasia Group et DevryBV.

Ukraine et Russie

Le choc principal arrive d’Ukraine et de Russie, qui fournissent 29 % des exportations mondiales de blé et près de 80 % des exportations d’huile de tournesol, mais aussi d’importantes quantités de maïs et d’orge. Le déplacement des achats vers des produits substituts entraîne la hausse du prix du riz et de l’huile de palme à l’autre bout du monde. L’onde se propage à l’ensemble des produits transformés.

Sont particulièrement frappés les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, grands consommateurs de blé, mais aussi la région subsaharienne et l’Asie du Sud.

Il en coûte environ 25 % du budget familial pour se nourrir dans les économies émergentes, proportion qui grimpe au-delà de 40 % au sud du Sahara.

Au Canada, c’était en moyenne 11 % en 2020, mais 15 % pour les ménages à faible revenu.

Le prix des engrais, qui a bondi de plus de 230 %, est encore plus lourd de conséquences pour les futures récoltes. Le cours du gaz naturel, ingrédient principal des fertilisants azotés, a explosé en Europe. Les expéditions de potasse de la Russie et de la Biélorussie, les plus grands exportateurs après le Canada, sont entravées par le conflit.

En principe, les céréales et les engrais sont exclus des mesures punitives imposées à la Russie et à la Biélorussie. Ils sont néanmoins touchés par le boycottage de leurs institutions financières et par les entreprises de logistique et d’assurance maritime qui évitent ces pays pour préserver leur réputation. Des pourparlers ont débuté pour la reprise des cargaisons russes et ukrainiennes, coincées dans les ports de la mer Noire, mais qui a confiance en la bonne foi de Poutine ?

La guerre a aussi entraîné la forte appréciation du pétrole, qui se répercute sur le coût d’opérer les tracteurs et les frais de transport des denrées.

La réaction protectionniste des pays n’arrange pas les choses, bien au contraire. Depuis le début de la guerre, une trentaine ont imposé des restrictions aux exportations. L’Inde, grand producteur de blé, a stoppé ses ventes à l’étranger.

La guerre a empiré l’insécurité alimentaire, qui s’était déjà dégradée durant la pandémie, avec la perturbation du travail sur les fermes et la dislocation des chaînes d’approvisionnement.

Ces chocs finiront par s’estomper, même si on ne sait quand.

En revanche, le réchauffement climatique, qui déjà multiplie les sécheresses et les inondations, imposera un stress grandissant sur la production agricole.

La crise alimentaire risque d’encourager l’ensemencement des terres en jachère, qui ont besoin de repos, et le déboisement pour l’élevage, plutôt que les pratiques régénératrices plus durables. En même temps, l’étalement urbain poursuit son empiétement sur les terres arables.

Ce qui choque le professeur Sylvain Charlebois, de l’Université Dalhousie, est que 40 % du maïs cultivé aux États-Unis sert à fabriquer l’éthanol mélangé à l’essence. Voilà des terres qui pourraient mieux servir à nourrir la population.

Que faire ?

En avril, sous l’impulsion de la Secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, le Programme alimentaire mondial et l’Organisation mondiale du commerce ont appelé à une action urgente et coordonnée pour assurer la sécurité alimentaire. Ils ont proposé de fournir des denrées et une assistance financière aux ménages, de lever les entraves au commerce et d’encourager la production durable. La réponse des pays riches arrive cependant au compte-gouttes.

Même s’il n’y a pas de famine au Canada, la hausse du prix des aliments accable davantage les démunis, plus nombreux à frapper à la porte des banques alimentaires. L’an dernier, les organismes accrédités à Moisson Montréal ont enregistré une hausse de 26 % des demandes d’aide, comparativement à 2019. Les visites au dépannage alimentaire ont crû de 81 % !

Près de 60 % de tous les aliments produits au pays sont perdus ou gaspillés. Le tiers est pourtant comestible et avec une meilleure logistique pourrait être récupéré au bénéfice des 5,6 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire, évalue une étude de Deuxième Récolte, le plus important organisme de récupération au Canada.

Un geste simple et peu coûteux pour limiter l’effritement du pouvoir d’achat des assistés sociaux qui vivent l’insécurité alimentaire serait l’indexation des prestations chaque trimestre, plutôt qu’une fois par année, lorsque le taux d’inflation annualisé dépasse les 3 %.

Nous ne sommes pas complètement impuissants face au problème de la faim, pour peu qu’on entende le cri des ventres creux.

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