Le Commissaire au développement durable (CDD) a publié un quatrième rapport accablant⁠1 sur l’échec de la gouvernance climatique et la gestion du Fonds vert, devenu le Fonds d’électrification et des changements climatiques (FECC). Près de 6,7 milliards de dollars de fonds publics sont à risque d’être mal gérés en raison du manque d’efficacité et de transparence du ministère de l’Environnement (MELCC) — sans compter les milliards déjà mal gérés depuis la création du Fonds en 2006.

C’est assez. Nos élus doivent passer à l’action et demander que la Commission de l’administration publique convoque les dirigeants du MELCC pour rendre des comptes sur les irrégularités soulevées par le CDD.

Le Ministère doit expliquer quelles solutions il compte mettre en place pour répondre aux lacunes, dont les retards accusés dans la mise en œuvre des mécanismes de reddition de comptes qui devaient assurer plus d’efficacité et de transparence dans la gestion du Fonds et de cohérence dans la coordination des actions gouvernementales.

Déjà en 2019, le premier ministre François Legault reconnaissait que le Fonds était « géré n’importe comment », que « plusieurs ministères y pigeaient » et qu’il n’y avait « aucune optimisation en fonction de la réduction des GES ». Le MELCC a eu près de deux ans pour nous convaincre que sa réforme nous mettrait sur la bonne voie. À la lecture du rapport du CDD, nous comprenons que les commentaires du premier ministre demeurent d’actualité.

Cesser de répéter les erreurs du passé

Dans une lettre ouverte publiée dans La Presse le 15 novembre 2019⁠2, une vingtaine d’universitaires prévenaient que la réforme signalait un retour en arrière. Le rapport du commissaire confirme cette préoccupation.

Un des piliers de la réforme a été d’abolir le Conseil de gestion du Fonds vert (CGFV), un organisme créé en 2017 pour encadrer la gestion du Fonds après qu’il fut révélé que des milliards avaient été dépensés avec peu de résultats. À la place, le ministère de l’Environnement a repris les rênes de la gouvernance du Fonds et de la coordination des actions gouvernementales dans la lutte contre les changements climatiques.

Pour maintenir le cap sur la réforme, il a demandé au Vérificateur général du Québec de produire annuellement un rapport sur la gestion du Fonds.

Voilà qu’aussitôt fait, le ministre balaie d’un revers de main les constats et recommandations, sous prétexte que « c’est une photo qui date du 1er avril 2021… qui n’est plus exacte aujourd’hui ».

Le gouvernement défend son bilan sur la base que son Plan pour une économie verte 2030 (PEV) et le Bureau d’électrification et des changements climatiques (BECC), qui remplacent le CGFV, n’ont débuté qu’au 1er avril 2021. Mais plusieurs données analysées par le CDD datent de février 2022. Nonobstant l’étiquette et le parti au pouvoir, la réalité est que le Fonds existe depuis 2006 et est toujours mal géré par le MELCC. Le gouvernement actuel perpétue les inefficacités du passé, avec la différence qu’il y aura dorénavant beaucoup plus d’argent dans le Fonds.

Les travaux du commissaire montrent que le PEV reprend plusieurs actions de l’ancien Plan d’action sur les changements climatiques (PACC), qu’il n’y a pas plus de transparence dans la reddition de comptes et que le Ministère n’exerce toujours pas une gouvernance intégrée pour permettre la coordination des actions à l’échelle gouvernementale. Ils soulignent également que le MELCC a intégré au PEV des actions du PACC sans avoir préalablement évalué leur performance ni apporté les ajustements.

Investir à l’aveuglette

Autrement dit, c’est comme si on acceptait qu’un conseiller financier investisse notre argent dans un fonds de placement sans se soucier du suivi des rendements. Dans le cas du FECC, le rendement visé est le maximum de réduction d’émissions par dollar investi.

En abolissant le CGFV, le gouvernement s’est privé de sa principale instance mandatée pour examiner, avec une certaine indépendance, le dysfonctionnement du Fonds, et harmoniser le processus de reddition de comptes.

En redevenant responsable du Fonds, le ministre de l’Environnement s’est mis dans la position d’être à la fois juge et partie d’un Fonds dont son ministère est lui-même bénéficiaire. Il y a donc conflit d’intérêts.

En affaires, les audits financiers des sociétés, détenues par des actionnaires, sont réalisés par des firmes indépendantes. Dans le cas du FECC, la société québécoise constitue l’actionnariat. Pourquoi n’aurions-nous pas droit à la même rigueur et à la même transparence ?

La bêtise consiste à refaire toujours la même chose en espérant un résultat différent. Les constats du CDD sont clairs : l’approche à la gestion du FECC et à la gouvernance climatique est toujours défaillante. Il faut donc revoir cette approche.

Comme pour la lutte contre la pandémie, l’approche à la gouvernance climatique doit être dépolitisée et s’appuyer sur des mécanismes de reddition de comptes transparents et indépendants pour répondre de façon efficace à l’urgence de la crise. Notre gouvernement peut et doit faire mieux. Une parution des dirigeants du MELCC devant la Commission de l’administration publique représenterait un premier pas pour discuter de solutions et rectifier le tir.

1. Consultez le rapport du Commissaire au développement durable 2. Lisez la lettre « Réforme de la gouvernance climatique : transparence et indépendance à risque »

* Cosignataire : Annie Chaloux, professeure agrégée à l’Université de Sherbrooke

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