Bien triste semaine en ce qui touche les droits de la personne en Chine.

Nous commémorons en effet les évènements de la place Tiananmen du 4 juin 1989, alors que l’armée faisait rouler ses chars et ouvrait le feu sur des manifestants pacifiques. Quelques jours auparavant, je m’étais aventuré sur la place pour aller à la rencontre de ces gens, notamment des jeunes, qui exprimaient de façon festive leurs aspirations pour plus de liberté et une meilleure gouvernance. Leurs rêves se sont terminés dans un bain de sang.

Une décennie plus tard, j’étais sidéré de constater, en conversant avec une étudiante chinoise, que celle-ci ne savait à peu près rien de ce qui s’était passé cette journée-là. L’histoire avait été effacée.

Puis, il y a quelques jours, la visite de la haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, s’est avérée une occasion ratée d’interpeller le gouvernement chinois à la hauteur des atrocités commises au Xinjiang. Ce dont sont victimes les Ouïghours et autres minorités musulmanes est bien documenté. On comprend qu’une fonctionnaire et diplomate onusienne se devait de manœuvrer habilement, mais la visite telle qu’orchestrée risquait de faire le jeu de la propagande chinoise. Et c’est ce qui s’est produit !

Au tournant du siècle, dans un contexte d’ouverture et de réformes, le Parti communiste avait lâché un peu de lest, toléré une timide émergence de la société civile et réalisé quelques avancées en matière juridique. Sans nous bercer d’illusions, à l’époque où la Chine manifestait une dose de respect et d’amitié envers le Canada, nous avons même entretenu un dialogue et une coopération en matière de droits de la personne.

Fermeture

Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012, l’espace civique s’est refermé. Les voix dissonantes se voient maintenant systématiquement réprimées, que ce soit celles de juristes, de scientifiques ou de simples citoyens qui veulent s’exprimer sur des sujets qui les touchent au quotidien, tel le confinement orwellien à Shanghai. Lorsqu’une personne se comporte d’une façon qui ne correspond pas à la ligne du parti ou aux intérêts des dirigeants, on la censure ou on la fait disparaître. Le Parti communiste exerce aujourd’hui un contrôle et une répression qu’on n’avait pas connus depuis la Révolution culturelle.

On ne parle plus d’un régime autoritaire qui se limite à réprimer les discours et gestes de contestation, mais d’un régime totalitaire qui s’applique à contrôler la pensée et la vie des gens, appuyé en cela par la technologie.

C’est l’ensemble de la population chinoise qui est soumise à ce monopole du pouvoir et à la répression, malgré les avancées indéniables en matière de conditions matérielles de vie. Hong Kong, autrefois enclave de liberté, est passé sous le joug. Les minorités sont particulièrement ciblées. J’ai pu constater les tensions entre les autorités et la population au Xinjiang et au Tibet alors que nous travaillions au développement des communautés rurales. Des visites Potemkine, on m’en a servi, comme on en a certainement servi à Mme Bachelet. La plus mémorable est cette visite à caractère plus politique dans une prison de Lhassa où, après nous avoir répondu que les prisonniers tibétains ne pouvaient réciter de vive voix leurs sûtras (prières bouddhistes) parce que cela « dérangeait la quiétude des autres prisonniers », on nous a présenté un orchestre de prétendus détenus qui jouait de la musique rock à tue-tête !

PHOTO DILARA SENKAYA, ARCHIVES REUTERS

Manifestation de Ouïghours contre la Chine, à Istanbul, en octobre 2021

La répression au Xinjiang, que d’aucuns qualifient de génocide, est d’une échelle ahurissante. On tente d’éradiquer la culture d’un peuple, que ce soit par la séparation des familles, la destruction de mosquées ou celle d’une partie de la vieille ville de Kashgar, au cœur de l’identité ouïghoure. Les camps de détention, dont la Chine a d’abord nié l’existence et dans lesquels se sont retrouvées plus d’un million de personnes, sont au centre de cette campagne — tout comme le travail forcé.

À certains égards, les camps de détention de masse du Xinjiang sont au XXIe siècle ce que les goulags soviétiques ont été au XXe siècle.

Force est de constater que la Chine évoluera à son rythme, et que la population continuera malheureusement à se voir privée de droits civils et politiques dans un avenir prévisible. En l’état actuel des choses, le Parti communiste est bien peu perméable aux voix de ses citoyens tout comme à l’influence internationale, bien que les critiques l’agacent. Sous Xi Jinping, le Parti s’est écarté d’une approche calibrant dogmatisme et pragmatisme, au profit du premier et du maintien au pouvoir à tout prix de l’aristocratie rouge et de ses privilégiés.

Mais rien n’est immuable. Entre-temps, nous devons prendre garde de ne pas être complices par le silence. Il faut continuer à mettre en lumière les graves violations courantes de droits de la personne, tout comme à commémorer les victimes de celles du passé. Le 4 juin, je me souviens.

Lisez l’article : « Chine : Des experts de l’ONU profondément préoccupés par les allégations de détention et de travail forcé des Ouïghours » Lisez le texte de Human Rights Watch : « Break Their Lineage, Break Their Roots » (en anglais) Lisez le texte de l’International Consortium of Investigative Journalists : « Xinjiang Police Files : The Faces of China’s Detention Camps in Xinjiang » (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion