Je me souviens d’un éditorial de La Presse de 2011 où l’éditorialiste Ariane Krol écrivait que la plupart des établissements de santé étaient incapables de dire avec précision combien avait coûté votre dernière visite à l’hôpital1.

Or, 10 ans plus tard, Francis Vailles rapporte dans sa chronique que le ministère de la Santé et des Services sociaux veut changer les choses et a entrepris une tâche colossale pour connaître les coûts attribuables aux milliers d’interventions de soins2. Tous les coûts ont été mesurés pour chaque intervention : des aiguilles aux gants jetables, du chauffage aux frais administratifs en passant par la rémunération des médecins, les salaires des infirmières et des autres employés.

À partir du 1er avril 2023, le gouvernement financera chacune des interventions chirurgicales selon un tarif défini suivant les meilleures pratiques. Le compte à rebours est commencé et les établissements s’y préparent.

Budget global

Depuis des lunes, les établissements de santé sont financés à l’aide d’un budget global. Le budget global est une enveloppe budgétaire allouée aux gestionnaires des établissements en échange d’un engagement formel à fournir des services à la population.

L’enveloppe est subdivisée en deux composantes : une composante globale, qui regroupe les dépenses non salariales et les dépenses de main-d’œuvre, et une composante détaillée, qui sert à justifier des dépenses spécifiques. Ces composantes sont indexées selon des normes ou des décisions administratives. Les dépenses d’immobilisation et la rémunération des médecins en sont exclues.

Ce mode de budgétisation est simple et facile à appliquer. Le gouvernement ferme les yeux sur le volume, la complexité des cas, la productivité, l’efficience et se concentre sur l’ampleur des dépenses des établissements.

Toutefois, il y a peu de mesures d’incitation. Les hôpitaux moins efficients continuent d’être médiocres sans pénalité, tandis que les hôpitaux performants sont obligés de gérer de façon plus serrée leur budget et ne retirent aucun avantage d’être excellents.

« Ce qui n’est pas mesuré ne peut être géré ou amélioré »

Dans la plupart des pays industrialisés, les dépenses en santé accaparent une large part du produit intérieur brut (PIB). Pour plusieurs, cette croissance importante des coûts de santé est due à des facteurs non négligeables, comme le vieillissement de la population, l’apport des nouvelles technologies et le développement de nouveaux traitements.

Mais d’autres pensent qu’on omet une source fondamentale de croissance des coûts. Il y a une méconnaissance presque complète de ce que coûte l’offre de soins au patient et de la façon dont ces coûts se comparent aux atteintes des buts.

Prenons l’exemple des opérations de remplacement du genou. Des chirurgiens utilisent des procédures chirurgicales différentes, des appareils spécifiques et divers implants qui engendrent des variations importantes des coûts pour le traitement de patients dans des situations similaires.

Or, en comparant les processus et les coûts des ressources pour des situations similaires, on peut déterminer si les variations sont dues aux protocoles, à la productivité ou à d’autres influences. Les gestionnaires peuvent également consolider des traitements moins utilisés et plus coûteux dans des institutions spécifiques afin de créer une masse critique de soins et de services.

Le modèle des DRG

Depuis les années 1990, de nombreux pays d’Europe et les États-Unis ont introduit un financement à l’activité sous forme de système de paiement prospectif par DRG (Diagnostic Related Groups).

L’idée derrière les DRG est de classer les cas selon les diagnostics des patients. Des diagnostics qui ont des caractéristiques cliniques similaires et des coûts comparables. Les hôpitaux sont par la suite payés une somme qui reflète le coût du traitement pour les patients de ce groupe. Le système de paiement par DRG a pour objectif d’améliorer l’efficience, d’accroître la transparence et de réduire les durées de séjour dans les hôpitaux.

Toutefois, il peut aussi créer des conditions défavorables à certains soins. Par exemple, les mesures d’incitation pour réduire les durées de séjour peuvent porter préjudice à des spécialités comme l’urgence et les soins intensifs. Les diagnostics et les coûts reliés à certaines spécialités comme les soins psychiatriques peuvent être difficile à évaluer. Et que faire avec des soins qui sont difficilement comparables comme la traumatologie, le calcul des coûts peut être insuffisamment précis ?

Force est de constater que les processus de budgétisation et d’évaluation des coûts sont nombreux et complexes et que chaque pays a ses modèles et ses façons de faire. Dans les pays européens, le financement à l’activité peut représenter de 60 à 85 % des revenus de l’hôpital et côtoyer d’autres formes de budgétisation comme des budgets globaux pour la santé mentale.

Bien budgéter pour mieux agir

Quelle que soit la direction qu’entend prendre le ministère de la Santé et des Services sociaux, les divers systèmes de paiements ont des forces et des faiblesses en relation avec les objectifs recherchés.

Le financement à l’activité ne va pas régler tous les maux du réseau. Il demande une culture managériale, une planification stratégique, une répartition budgétaire et une reddition de compte.

On veut un suivi des dépenses et une connaissance de l’évolution des épisodes de soins. De plus, la méthode demande la compilation d’informations selon le diagnostic de la maladie et les ressources allouées. Ce qui fait que les coûts administratifs sont plus élevés.

Néanmoins, l’initiative est intéressante puisqu’en ne connaissant pas le coût réel des soins au patient, les décideurs en sont rendus à diminuer les services plus coûteux, les compensations financières ainsi qu’à réduire la main-d’œuvre disponible. La réduction des coûts de santé peut avoir un impact majeur sur la qualité et l’offre de services si elle est faite à l’aveuglette.

Dans ce contexte, il faut encourager les hôpitaux à s’enquérir des meilleures pratiques et à établir des partenariats pour partager les connaissances. Un budget bien réfléchi demeure un outil puissant qui permet d’évaluer l’efficacité des gestionnaires et de mettre cartes sur table en ce qui concerne le plan qui va aider à atteindre les objectifs que les hôpitaux se sont fixés.

1. Lisez l’éditorial d’Ariane Krol du 18 novembre 2011 : « Le coût de soigner » 2. Lisez la chronique de Francis Vailles du 9 mai 2022 : « Révolution dans le financement des hôpitaux » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion