Dans le Washington Post du 26 mai dernier, le professeur Patrick Sharkey, de l’Université Princeton, diffusait les résultats d’une de ses études1. Les chiffres révélaient que l’impact des tueries de masse ne durait que quelques jours chez la majorité des gens. Quatre, précisément. Selon Sharkey, cela veut dire quatre jours pour agir et prévenir la prochaine insoutenable tuerie. Quatre jours avant un retour aux autres préoccupations du quotidien et avant que la tristesse et la colère ne s’atténuent.

Ce lundi marque le 16jour depuis la tuerie au supermarché Tops à Buffalo, qui a fait 10 victimes, et le 6jour depuis celle à l’école primaire Robb, à Uvalde, au Texas, dans laquelle 21 personnes ont perdu la vie.

La colère face à ses barbaries et à un exceptionnalisme américain peu enviable persiste. Peut-être y a-t-il aujourd’hui une entorse à la règle du professeur Sharkey ? Et si c’est le cas, quoi en faire ?

Voir et dénoncer

Après les attentats du 11 septembre 2001, l’autorité de transport métropolitain de New York a lancé la campagne publicitaire « Si vous voyez quelque chose, dites quelque chose ». Un slogan qui est devenu une marque déposée et qui a été ensuite reprise par le département de la sécurité nationale des États-Unis, puis par l’Association canadienne des chefs de police. L’objectif de la campagne était simple : encourager la vigilance et le signalement de toute activité suspecte aux autorités. Une consigne qui ne semble pas avoir été appliquée dans le cas des tueurs de Buffalo et d’Uvalde. Ce dernier, par exemple, avait annoncé ces gestes à venir sur Facebook, sous les radars des autorités et sans signalement. L’évitable est devenu le tragique.

Seul, l’acte de dénoncer ne peut pas toujours protéger du pire, mais il fait certainement partie de la solution. « Dire quelque chose » a une valeur.

Au-delà des lapsus et de son héritage présidentiel marqué surtout par une guerre illégale, George W. Bush demeure une figure emblématique du Parti républicain. Il est conscient de son influence et l’a utilisée à plusieurs reprises pour se prononcer depuis 2016 – en réaction à l’évidente dérive du parti et au dommageable clivage créé par Trump.

C’est notamment dans un discours lors d’une cérémonie soulignant le 20e anniversaire des attentats du World Trade Center et du Pentagone, en septembre dernier, que l’ancien président Bush avait affiché ses couleurs. « Une force maligne semble à l’œuvre dans nos vies communes. Elle transforme chaque désaccord en querelle, et chaque querelle en choc des cultures. Une grande partie de la politique n’est réduite aujourd’hui qu’à un simple appel à la colère, à la peur et à l’indignation, nous rendant inquiets pour notre nation et notre avenir », dixit Bush, sans nommer Donald Trump, mais ne laissant aucune ambiguïté qu’il parlait de lui.

Comme les précédentes et celles qui les ont suivies, cette sortie de l’ancien président laissait aussi paraître une nostalgie d’un Grand Old Party qu’il ne reconnaissait plus. Un sentiment qui ne doit pas être étranger à plusieurs anciens du Parti conservateur du Canada.

Se reconnaissent-ils dans cette course au leadership et dans la rhétorique de celui qui domine dans les sondages ? Ne tremblent-ils pas en voyant les dérapages auxquels elle mène ? Ne sont-ils pas, comme moi, apeurés par la dangereuse copie carbone qui se dessine sous nos yeux ?

Il y a un protocole de devoir de réserve, je sais. Mais George W. Bush et d’autres membres influents du Parti républicain avaient pris trop de temps avant de mettre en garde les membres du parti contre Trump. C’est une erreur que les ténors du Parti conservateur du Canada ne peuvent se permettre. S’ils voient quelque chose, ils doivent dire quelque chose.

Dénoncer et agir

Au lendemain de la tuerie au Texas, il y a eu un grand moment à plus de 2000 km d’Uvalde. Une fois de plus et devant plus de 3 millions de téléspectateurs, la NBA (Ligue nationale de basketball) a donné l’exemple. Avant un match qui opposait les Celtics de Boston au Heat de Miami, il y a eu une minute de silence en hommage aux 21 victimes de la tragédie. Ce geste est presque devenu routinier. Mais cette fois-ci, 60 secondes n’ont pas suffi au Heat. La minute écoulée, l’annonceur de l’équipe transmettait un message qui était aussi projeté sur les écrans géants de l’aréna FTX : « Le Heat vous encourage à appeler vos sénateurs au 202-224-3121 et à laisser un message demandant qu’ils appuient des lois sensées sur les armes à feu. Le changement passe aussi par les bureaux de vote […] Faites-vous entendre lors des élections l’automne prochain2 ».

Dénoncer et s’indigner, oui. Mais il faut agir aussi. Selon Élections Canada, c’est approximativement 62,5 % des Canadiens qui ont voté lors des dernières élections. C’est un pourcentage qui ne me paraît pas à la hauteur des enjeux. Si la course au leadership du Parti conservateur du Canada peut servir d’amer amuse-bouche, il nous faudra voter en encore plus grand nombre lors des prochaines élections fédérales. Il y a des virages politiques qui découragent et qui font peur et je comprends le sentiment d’impuissance de plusieurs Américains puisqu’à l’occasion, je le ressens aussi. Notre meilleur outil demeure les urnes. Si on voit quelque chose, il faut dire quelque chose. Et voter. À tous les ordres de gouvernement.

1. Consultez l’étude publiée dans le Washington Post (en anglais) 2. Regardez l’annonce du Heat de Miami (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion