Parfois, les politiciens prennent des décisions d’une telle incohérence qu’ils alimentent le cynisme envers la classe politique.

Cette semaine, les élus de Québec solidaire ont agi de la sorte.

Comment ? Québec solidaire a appuyé l’adoption du projet de loi 96⁠1 sur la réforme de la Charte de la langue française tout en s’engageant à rendre inopérante, si le parti devait être porté au pouvoir, la disposition obligeant l’administration publique à communiquer exclusivement en français avec les personnes immigrantes six mois après leur arrivée au Québec⁠2.

Examinons la chose.

Dans les dernières semaines, beaucoup d’encre a coulé au sujet du projet de loi 96. Il fut question, entre autres, de la nécessité légitime de protéger la langue française, de la façon la plus pertinente d’analyser l’état du français au Québec, des droits des personnes anglophones et allophones habitant la province, de la stigmatisation de ces personnes dans le contexte du débat actuel, des abus de pouvoir, des problèmes administratifs pouvant découler de l’application des mesures de loi, des menaces à l’indépendance de la magistrature et du recours aux clauses dérogatoires restreignant, encore une fois, les possibilités de contestations constitutionnelles de la loi.

Les Premières Nations ont aussi fait valoir en quoi le projet de loi 96 violait leurs droits. Enfin, de nombreuses voix se sont élevées afin d’expliquer les effets néfastes du projet de loi pour les personnes immigrantes et réfugiées.

Évidemment, la fameuse obligation de l’administration publique d’offrir des services uniquement en français aux personnes immigrantes six mois après leur arrivée au Québec faisait partie du lot de critiques. Québec solidaire a d’ailleurs proposé des amendements au projet de loi afin de prolonger le délai qui y était prévu. Des experts et des chroniqueurs, comme Rima Elkouri, ont exposé en quoi ce volet du projet de loi était « inhumain et contre-productif » ⁠3.

Mardi, au terme de l’adoption du projet de loi, Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, a affirmé que « nier les droits des autres pour affirmer les siens et affirmer brutalement sa suprématie sur d’autres nations qui partagent un même territoire est indigne d’un gouvernement qui se respecte ».

Où se situe donc l’incohérence de Québec solidaire ?

Soulignons d’abord que ce parti politique désire protéger la langue française, et ce, avec raison.

En même temps, rappelons que la justice, l’égalité et la solidarité représentent des principes fondateurs de ce parti. Dans sa Déclaration adoptée lors de son congrès de fondation en 2006, le parti énonce qu’il « consacre son énergie à la recherche de l’égalité et de la justice sociale, au respect des droits individuels et collectifs ».

Or, Québec solidaire semble bien conscient des violations de droits résultant de l’adoption du projet de loi 96.

Nulle autre que Ruba Ghazal, députée de Québec solidaire, a affirmé cette semaine que la clause des six mois créait « beaucoup d’inquiétude chez les gens, surtout chez les minorités et les gens les plus vulnérables ». Elle a même ajouté que « la clause de six mois [était] totalement arbitraire » et que « ce n’[était] pas avec une clause comme ça qu’on [allait] protéger le français ». Le parti a aussi mentionné craindre que la nouvelle loi ne pénalise les Autochtones anglophones.

Voilà la première incohérence qui me saute aux yeux : alors que Québec solidaire reconnaît les conséquences négatives du projet de loi 96, comment concilier le choix d’appuyer son adoption avec les principes fondateurs du parti ?

J’essaie de m’expliquer cette situation autrement que par le désir de séduire une partie de la population québécoise ainsi que le manque de courage. Je n’y arrive pas. Pourquoi ce parti existe-t-il si, avide de pouvoir, il agit de façon contraire aux fondements de sa raison d’être ?

Et si seulement l’incohérence s’arrêtait là… mais non. Québec solidaire a promis de rendre inopérante la clause des six mois s’il forme le prochain gouvernement. On dirait une très mauvaise blague.

Bien sûr, faire preuve d’optimisme et s’afficher comme un parti gagnant fait partie du jeu politique. N’empêche que tout le monde sait qu’à moins d’un évènement digne des films de science-fiction, Québec solidaire ne formera pas le prochain gouvernement. Alors pourquoi diable consentir aujourd’hui à violer des droits fondamentaux en promettant que cette violation cessera demain, à condition que survienne un évènement pratiquement impossible ?

Voilà un geste politique qui correspond à mon sens à du détournement cognitif, phénomène également connu sous l’appellation anglaise gaslighting : Québec solidaire camoufle son appui au projet de loi 96 en annonçant à la population une contestation qui n’en est pas véritablement une.

Pis encore, l’incohérence de Québec solidaire tient aussi du fait que par sa prise de position, le parti effectue du marchandage avec les droits de la personne.

En d’autres termes, le parti lance le message suivant : « Nous acceptons aujourd’hui de violer les droits de personnes vulnérables au sein de la population, mais si vous votez pour nous, nous allons changer notre fusil d’épaule. » Cette position ne tient pas la route. Un parti qui suspend ainsi, conditionnellement, sa protection des droits des plus vulnérables manque d’intégrité.

On dit que pour que la population ait confiance en la classe politique, il faut faire de la politique autrement. Cette semaine, pour toutes les raisons qui précèdent, Québec solidaire reçoit à ce chapitre une note de 0.

1. Depuis son adoption, le projet de loi 96 s’intitule officiellement Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français.

2. Cette disposition comporte quelques exceptions.

3.1 Lisez la chronique de Rima Elkouri « Vous avez six mois » 3.2 Lisez la chronique de Rima Elkouri « Vous avez six mois (bis) » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion