Volodymyr Zelensky a pris la parole par vidéo interposée au gala d’ouverture du 75Festival de Cannes : « Il nous faut un nouveau Chaplin qui prouvera que le cinéma n’est pas muet » face à la guerre en Ukraine. Il a ajouté : « Je suis persuadé que le “dictateur” va perdre », faisant allusion à la fois au président russe Vladimir Poutine et au chef-d’œuvre éponyme de Charlie Chaplin. Le président ukrainien étant lui-même un humoriste, un acteur, un réalisateur et un homme d’État, il sait de quoi il parle.

Poutine a transformé en une quasi-dictature la naissante et fragile démocratie dont il a pris la tête en 2000, et le cinéma occidental n’en a pas rendu compte, voilà ce que nous dit Zelensky. Même James Bond a fait faux bond. L’aspirant tsar nous a à ce point bernés que c’est aujourd’hui seulement que la Finlande et la Suède demandent à se joindre à l’OTAN.

Chaplin, lui, a vu venir. Depuis que le IIIe Reich a interdit La ruée vers l’or pour sémitisme (!), il réalise dans les années 1930 le danger que représente Hitler pour la liberté.

Il fera un film à son encontre (il est à peu près le seul cinéaste à oser se lever). Son projet aussitôt connu, on se ligue contre lui. Le gouvernement allemand proteste officiellement.

Dans la même période, l’Angleterre et la France laissent Hitler faire main basse sur l’Autriche et les Sudètes (tout comme l’Occident a laissé Poutine faire la guerre en Géorgie, annexer la Crimée et tuer dans le Donbass), alors qu’un sondage Gallup révèle que 96 % des États-Uniens se déclarent hostiles à l’entrée de leur pays dans une guerre en Europe (on aurait aimé qu’il en fût de même à l’égard des guerres du Viêtnam et d’Irak).

Zelensky sait que Chaplin a longtemps tenu mordicus au muet, mais que pour son nouveau film, il lui fallait la parole. Il termine le scénario du Dictateur le 1er septembre 1939, la journée même où Hitler envahit l’infortunée Pologne. Il s’est donné un double rôle : un barbier juif et Hynkel. Il est facile de reconnaître derrière les personna­ges d’Adenoïd Hynkel, Garbitsch (contraction de « garbage » et « rubbish » : ordure), Herring (hareng, contraction de « Hermann » et « Göring ») et Napoloni (contraction de « Napoléon » et « Mussolini ») Adolf Hitler, Goebbels, Göring et Mussoli­ni. Dans le nom prêté à l’Allemagne – Tomania – niche le mot anglais « mania » : démence ; dans celui prêté à l’Italie – Bacteria : bactérie.

PHOTO UNITED ARTISTS, ARCHIVES LA PRESSE

Charlie Chaplin dans Le grand dictateur

Le film commença mal sa carrière aux États-Unis, mais est triomphalement projeté à Londres, pendant la bataille d’Angleterre. Bien entendu, il fut interdit en Allemagne (on raconte cependant qu’Hitler se le serait fait projeter deux fois). Il sortit en France à la fin de la guerre. Chaplin confia aux journalistes : « Mon patriotisme ne s’est jamais inspiré d’un pays ou d’une classe, mais du monde entier. »

À quand un film donnant les mauvais rôles à Bottine (Poutine), LaMorve (Lavrov) et Ploukàleau (Loukachenko), fiers représentants de la Roussie et de la Belleroussie ? J’imagine très bien le double de Zelensky lancer à la fin du film, à l’instar de Chaplin dans Le dictateur : « Il faut nous unir, il faut nous battre pour un monde nouveau, décent et humain qui donnera à chacun l’occasion de travailler, qui apportera un avenir à la jeunesse et à la vieillesse la sécurité. Ces brutes vous ont promis toutes ces choses pour que vous leur donniez le pouvoir – ils mentent. Ils ne tiennent pas leurs promesses – jamais ils ne le feront. Les dictateurs s’affranchissent en prenant le pouvoir, mais réduisent le peuple en esclavage. Alors, battons-nous pour accomplir cette promesse ! » ⁠1

1. Visionnez le discours final du Dictateur Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion