En réponse à la lettre d’opinion de Martin Boyer, « Changements climatiques : la réponse du Québec n’est-elle pas à la hauteur ? »1, publiée le 11 mai

Dans sa plus récente lettre publiée dans la section Débats1, mon collègue Martin Boyer se questionne à savoir si la réponse du Québec face aux changements climatiques est suffisante ou pas en vue du faible impact du Québec sur les émissions totales de la planète.

Bien que son constat concernant l’impact minime des efforts de réduction des gaz à effet de serre (GES) du Québec sur l’impact environnemental planétaire est implacable, le professeur Boyer fait preuve de raccourci intellectuel en évoquant la pauvreté relative du Québec, démontre son ignorance des relations internationales en évoquant la tarification du carbone, et entretient un mythe rétrograde lorsqu’il évoque l’impact négatif des réglementations environnementales sur la compétitivité des États pour expliquer pourquoi nous ne devrions pas en faire plus en matière de climat.

Un Québec pas si pauvre

Un des arguments évoqués par le professeur Boyer est la pauvreté du Québec. Selon ce dernier, « le Québec est pauvre ; si le Québec était un État américain, seul le PIB par habitant du Mississippi serait plus faible ». Nous sommes certainement moins riches que plusieurs pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Toutefois, dire qu’on est pauvres au Québec, c’est justement oublier que nous faisons partie des pays de l’OCDE. Dire qu’on est pauvres au Québec, c’est oublier que le revenu moyen d’un Québécois est supérieur à celui de plus de 80 % de la population mondiale.

En lien avec les changements climatiques, la dichotomie riche-pauvre est non seulement erronée, elle est aussi fallacieuse et contre-productive.

Elle est fallacieuse en ce sens que ce sont les pauvres, les vrais, qui seront les plus affectés par le réchauffement climatique alors que ce sont les riches, nous inclus, qui émettent le plus GES par habitant. Elle est contre-productive dans la mesure ou les émissions de GES ont non seulement un impact sur le réchauffement de la planète, elles ont aussi un impact sur la qualité de l’air et, par extension, notre santé et notre espérance de vie. Réduire nos émissions n’est donc pas uniquement une question de lutter contre le réchauffement, c’est aussi une question d’améliorer notre environnement immédiat.

Une facilité pas si simple dans les relations internationales

Un deuxième argument évoqué par mon collègue est qu’il est ridicule pour le Québec d’adopter son propre plan puisqu’une tonne de GES est une tonne de GES, peu importe sa source. Une politique pour le Québec est l’équivalent « d’un péage sur le pont Jacques-Cartier, entre 1 h et 4 h du matin, pour réduire la congestion routière : ça n’aura aucun impact ». Il ajoute : « Il serait tellement facile de créer un système global de droits d’émissions de GES… à condition que ce coût soit le même pour tout le monde sur la planète, sans exception, comme pour le pétrole et l’or. »

Pourquoi pas un système de tarification unique ? Parce qu’en matière de relations internationales, la négociation et la ratification d’un accord suscitant l’adhésion de l’ensemble des États est un exercice périlleux qui demande patience, compromis, diplomatie et surtout du temps. Beaucoup de temps.

Sur ce point, le professeur Boyer démontre son ignorance de la complexité des relations internationales, et tout particulièrement son ignorance de l’historique des négociations en matière de climat.

Concernant la complexité des relations internationales, la mise en place d’un accord international est basée sur le bon vouloir des États à adhérer, et ensuite à se conformer à cet accord. Pour qu’un accord devienne effectif, les États doivent d’abord s’entendre sur un texte jugé acceptable par l’ensemble des signataires potentiels. Et une fois qu’un accord a été conclu, ce texte doit ensuite être ratifié par les États signataires. Ainsi, dans ce jeu politique à deux niveaux, on peut être d’accord sur un texte, mais ne jamais ratifier celui-ci. Pensons au protocole de Kyoto (1997), dûment signé par les États-Unis, mais jamais ratifié par ces derniers. Cela crée une situation où les intérêts de chacun priment à moins d’y voir un alignement acceptable pour tous, et la notion même d’acceptabilité peut varier dans le temps, selon les humeurs et les changements de gouvernements.

Concernant l’historique des négociations en matière de climat, mon collègue évoque l’iniquité de donner un passe-droit ou un tarif qui varie d’un pays à un autre. Le problème réside dans le fait qu’une grande partie de la richesse créée par les pays développés a été réalisée justement en tirant profit des énergies fossiles. Or, les émissions sont cumulatives et à cet égard, la dette des pays riches est énorme. Comment demander aux pays pauvres de tarifer le carbone quand les pays riches ne sont pas prêts à le faire eux-mêmes ? Ce débat, il existe depuis une bonne trentaine d’années, depuis les toutes premières discussions internationales pour une action concertée sur le climat.

Il aura fallu plus d’une quinzaine de rondes de négociation pour arriver à un accord sur le climat avec un tant soit peu d’ambition (Paris). Tout ça pour un problème connu depuis une cinquantaine d’années et que la plupart des intervenants s’entendent pour qualifier d’important, voire urgent. Si les relations internationales étaient simples, il n’y aurait pas de guerre en Ukraine.

Partant de ce constat, on ne peut contrôler que ce qui est sur notre territoire. Et lorsqu’il est question de réchauffement climatique, toute réduction compte, peu importe son origine. Attendre une tarification unique relève de la pensée magique.

Le mythe de la compétitivité

Finalement, sur la question de l’appauvrissement en lien avec des mesures de réduction de GES, on ne peut imaginer une perspective plus rétrograde. La réalité est qu’en forçant les firmes à payer pour leurs émissions, on crée une incitation pour que celles-ci réduisent leur dépendance aux énergies fossiles. On les force à innover, à revoir leurs procédés, voire à développer de nouvelles solutions. En plus d’ouvrir la porte à une réduction des frais d’exploitation, cela peut même permettre d’ouvrir de nouveaux marchés, voire de facturer une prime pour leurs produits. Ce qui est vu aujourd’hui comme une contrainte pourrait donc devenir une source d’avantage pour les entreprises qui sauront s’adapter lorsque d’autres États adopteront des mesures restrictives concernant les émissions de GES puisqu’elles auront une longueur d’avance par rapport à des concurrents n’ayant pas ces contraintes.

Les forces du marché se mettent déjà en place pour une décarbonisation de nos économies. Un nombre grandissant d’entreprises s’engagent dans une démarche de réduction massive de leurs GES (Apple, Microsoft, etc.). Cela implique l’établissement de critères stricts pour leurs fournisseurs allant au-delà des normes en vigueur. En l’absence d’un système fédéral de tarification du carbone, des États américains tels que la Californie ont d’ailleurs pris sur eux de mettre en place leur propre système et sont pleinement engagés dans l’adoption de normes environnementales strictes. Certains États, comme les pays membres de l’Union européenne, voient plus loin et évoquent même l’adoption de mesures d’ajustement à la frontière pour compenser les émissions produites hors de leur territoire, mais touchant des biens et produits vendus sur celui-ci.

Si le constat de mon collègue sur l’impact minime des réductions de GES à l’échelle de la planète est implacable, il a tout faux en ce qui concerne l’appauvrissement du Québec. Dans le contexte actuel, ne pas être ambitieux dans nos objectifs revient justement à s’appauvrir.

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