C’est un moment décisif pour l’avenir du contenu d’ici. Le dépôt du projet de loi C-11, la Loi sur la diffusion continue en ligne, représente une occasion parfaite de protéger nos récits et nos industries culturelles. C–11 a pour but de moderniser la Loi sur la radiodiffusion, en obligeant les géants du web comme Amazon, Disney et Netflix à payer leur juste part. Plus qu’une simple mise à jour, c’est un passage nécessaire afin d’assurer la pérennité de nos histoires et des nos institutions culturelles.

Je veux être claire : la diffusion en continu a donné un gros coup de pouce à nos acteurs culturels. Les créateurs de contenus d’ici ont profité de ces nouvelles occasions pour raconter leurs histoires et pour atteindre de nouveaux publics ici et ailleurs. Mais il est fort difficile de créer une industrie durable lorsque tous les profits quittent le pays et toutes les décisions sont prises par de grosses compagnies étrangères qui n’ont pas à cœur le rayonnement de notre culture. Ces plateformes jouissent d’une puissance qui s’étend au-delà de nos frontières et résiste à toute tentative d’encadrement gouvernemental.

Vous ne serez donc pas surpris que ces géants du web ne mobilisent pas ce pouvoir au profit de notre écosystème culturel. Au contraire, depuis des années, les Netflix et Amazon de ce monde ont profité de nos industries sans pour autant y investir leur juste part.

Des invités qui s'installent chez nous

Imaginez que vous avez des invités de longue date à la maison qui ne prennent pas la peine de payer un loyer. Peut-être bien qu’au début, vous appréciez leur compagnie. Ils ont remplacé la pinte de lait vide dans le frigo et vous ont même acheté un repas ou deux.

Mais quand est venu le temps de contribuer financièrement à l’entretien ménager ou à des rénovations, ils se sont essuyé le visage sur vos serviettes propres et ont tout simplement refusé.

C’est essentiellement ce que ces plateformes de diffusion en continu font chez nous depuis 10 ans. Elles s’écrasent sur notre divan culturel, sans verser un sou aux structures et aux systèmes qui permettent à nos récits de survivre et de prospérer. Elles ne contribuent que lorsque ça fait leur affaire.

D’où l’importance de la nouvelle loi sur la diffusion en continu. Avec C-11, on crée des règles de jeu qui font en sorte que ceux qui bénéficient de notre secteur culturel seront obligés d’y contribuer.

Et le travail ne se termine pas là. Même si nous parvenons à faire passer C-11, la vigilance sera de mise pour s’assurer que les contributions recueillies auprès des diffuseurs étrangers affluent vers les conteurs canadiens et y restent. Nous devons nous assurer que les géants du web ne se servent pas de leur taille ni de leur influence pour faire reculer nos gains et saper la viabilité de notre secteur culturel.

Réaffirmer notre souveraineté

En agissant ainsi, nous ne nous contentons pas de protéger nos industries culturelles cruciales. Nous réaffirmons également notre souveraineté. À proprement dit, ces géants du numérique sont établis aux États-Unis. Mais ils sont fondamentalement mondiaux dans leur mode de fonctionnement et dans la manière dont ils échappent à la responsabilité.

Les règles et réglementations de longue date développées dans des pays du monde entier – y compris le nôtre – sont rejetées d’emblée par ces plateformes, qui les qualifient d’anachroniques et dépassées, déconnectées des forces et des technologies contemporaines. À leur avis, aucun pays ni aucun peuple ne devrait être en mesure de les contredire.

Ce qui est vraiment alarmant, c’est qu’elles ont réussi – se cachant derrière ceux qui se délectent de la rhétorique du choix sans entraves et qui n’épargnent aucune pensée pour le travail important requis pour soutenir le développement et la production des histoires d’ici.

Pour toutes ces raisons, il est urgent d’agir maintenant. Si nous ne saisissons pas cette occasion pour établir l’équité et la viabilité comme principes de base du projet de loi C-11 et pour imposer un ensemble clair d’obligations à ces géants du web, nous n’en aurons peut-être plus jamais l’occasion.

Le gouvernement fédéral a tenté cet exploit législatif l’an dernier, pour se heurter à une résistance massive. Le nouveau projet de loi répond à bon nombre des préoccupations soulevées au cours de la dernière législature. Mais il se bute toujours à la résistance des intérêts puissants des GAFAM et de leurs alliés.

C’est une question de volonté. En Europe et au-delà, plusieurs pays créent de nouvelles règles et directives pour freiner ces plateformes et uniformiser les règles du jeu. C’est maintenant à notre tour de montrer que nous sommes prêts à nous défendre et à défendre notre culture, en changeant les serrures pour bafouer ceux qui comptent pouvoir continuer à s’écraser sur notre divan culturel. Bref, on devrait être maîtres chez nous.

* Mouvement citoyen qui défend les voix d’ici au sein de notre radiodiffusion publique canadienne, nos médias et notre culture

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