Pour vous situer, j’ai perdu mes deux médecins – médecin de famille et psychiatre – en l’espace de deux ans. D’abord mon premier psychiatre que je voyais tous les lundis matin depuis 20 ans pour 15-20 minutes de consultation. Je décrivais mon état, nous en discutions et il ajustait ma médication en conséquence. À sa retraite, il n’a trouvé aucun psychiatre pour reprendre ses patients.

Un malheur n’arrive jamais seul.

Deux ans plus tard, ma médecin de famille nous informe sans préavis qu’elle quitte la médecine. « Désolée. » Personne non plus pour reprendre ses patients. Même elle, qui est pourtant à la tête d’une grosse clinique médicale.

Quelques mois plus tôt, elle avait trouvé une psychiatre qui acceptait de me prendre comme patiente. Cela s’est fait par téléphone, pandémie oblige. Il me restait au moins ça. Vous croyez ? Non, pratiquement en même temps que mon médecin de famille, ma nouvelle psychiatre annonce qu’elle part en congé indéterminé. On dirait une hécatombe.

Comme je n’ai plus de médecin de famille ni de spécialiste, je m’inquiète sérieusement pour ma santé, ce qui n’améliore pas mon état. J’ai des problèmes qui demandent consultations auprès d’un médecin connaissant mon dossier, une médication qui demande un suivi régulier.

À la fin mars, le ministre Christian Dubé dit engager sur trois ans une grande réforme du service de santé. Première manifestation : l’ouverture d’un guichet d’accès centralisé aux services de santé. Comme il dit, on va pouvoir parler rapidement à un professionnel de la santé, mais pas nécessairement à un médecin. « Parler » est le mot important de l’annonce. Je vais m’en rendre compte assez vite.

Le message a été compris comme la promesse de jours meilleurs pour les patients orphelins. Joie et doutes. La joie : selon le ministre, le million de personnes sans médecin de famille verra facilement un professionnel de la santé en quelques jours – ensuite, il dira plutôt 500 000. Enfin, un accès aux services de santé, une porte d’entrée.

Les doutes : cherchant tous azimuts cet accès depuis maintenant trois ans, ayant exploré toutes les avenues, du privé au public, je n’ai pas trouvé. Par quel coup de baguette magique permet-il maintenant un tel accès ?

Le 1er avril, un jour à peine après l’annonce du ministre Dubé, je reçois un appel du CIUSS de l’Ouest de Montréal. On m’informe que je recevrai très bientôt un appel d’une infirmière clinicienne de la santé publique pour un entretien téléphonique. J’en connais même la date, l’heure et la durée : 6 avril, 14 h, 45 minutes.

Wow ! Dès le lendemain de l’annonce du ministre Dubé on m’accorde un rendez-vous. Quasiment comme dans La guerre des étoiles ou dans Harry Potter. Tu le dis, tu l’as !

Efficace, ce bon M. Dubé.

Le 6 avril, je suis prête. J’ai noté mon bilan de santé, la liste de mes médicaments, mes démarches. Je me dis qu’enfin, ça va débloquer, je vais pouvoir consulter et avoir un suivi. Un professionnel, c’est quand même mieux que le docteur Google.

L’entretien

Arrive l’entretien, l’infirmière est très gentille, pose ses questions et note, j’imagine, tout ça dans mon dossier. On fait vraiment le tour du sujet en une heure et vingt minutes, quand même !

À la fin de l’entretien, l’infirmière me dit qu’elle me souhaite de trouver quelqu’un qui pourra m’aider, dans le public ou le privé. Elle sent bien toute mon inquiétude.

Malheureusement, me dit-elle, elle ne peut intervenir d’aucune façon dans mon cas. Je ne suis pas classée prioritaire.

Il faudrait que j’aie des envies de suicide, ou en psychose, ou un cancer sans médecin, ou en soins palliatifs. Là, je serais prioritaire.

Or, selon ce qu’elle a compris, je ne suis rien de tout ça. Maintenant, j’espère seulement avancer rapidement sur la liste du guichet d’accès.

Et la vie continue. L’anxiété, le stress, je ne sais pas, peu de temps après apparaissent de grosses douleurs lombaires. Inscrite au guichet, je consulte Bonjour santé. Un site payant. Il n’y a aucune disponibilité pour rencontrer un médecin dans un rayon de 25 km. Jour après jour, je réessaie, il n’y a toujours pas de place dans quelque clinique que ce soit. Dans le privé, on me propose un rendez-vous 10 jours plus tard. Finalement, je trouve un rendez-vous le samedi dans une clinique de Laval. Rencontre ordinaire, sans proposition, sans suivi.

Puis je trouve une petite porte d’entrée : un médecin d’expérience dans une clinique bondée. J’ai passé une demi-heure avec lui. Il m’a proposé de la médication et de revenir dans un an pour vérifier si ça marche.

Si j’utilise encore la même entrée, je pourrai revenir à la même clinique et peut-être rencontrer le même médecin…

En attendant, je ne vais pas bien du tout et nous continuons à chercher. Dire que ça ne va pas est un euphémisme.

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