J’ai rencontré Bicha à l’âge de 11 ans. C’était la première journée du secondaire et j’ai su très vite qu’on serait amies pour la vie. Elle d’origine vietnamienne, moi française, nous avons toutes les deux été élevées dans une double culture et une transmission du savoir patrimonial. Nous nous sommes d’ailleurs retrouvées plus d’une fois en France, mais le voyage au Viêtnam dont nous rêvons tant ne s’est pas encore concrétisé. Je ne perds pas espoir !

Malgré nos vies chargées et nos rendez-vous trop rares, la conversation téléphonique hebdomadaire fait partie des traditions auxquelles nous ne dérogeons pas. Je m’épanche plus facilement, elle met un peu plus de temps, mais la connivence est indéniable.

Cette journée-là, Bicha racontait qu’elle voulait planifier un atelier culinaire avec sa mère afin d’apprendre à faire les bánh tôm.

Il s’agit des fameuses crevettes en beignet de patate douce et la simple évocation de cette recette émoustilla mes papilles !

À l’adolescence, Bicha organisait chaque année une soirée vietnamienne pour son anniversaire. Sa maman cuisinait pendant des jours et ces moments exotiques et gargantuesques font encore partie de mes plus belles expériences gustatives. Il y en avait tellement, nous avions tous la chance de repartir avec un doggy bag, ce qui faisait le plus grand bonheur de nos familles !

« Je comprendrais très bien que tu veuilles être seule avec ta maman, mais j’aimerais beaucoup venir aussi ! »

Bicha trouva l’idée bonne et suggéra d’inviter également ma mère. C’est avec enthousiasme qu’elle nous accueillit chez elle.

Toute menue et bien droite, sa mère semblait si fière à l’idée d’enseigner cette recette traditionnelle vietnamienne qui lui avait été transmise par sa propre mère.

Avec émotion, je l’ai observée longtemps avant d’oser me lancer à mon tour dans ce rituel. Chaque geste avait son importance ; il devait être précis, lent et appliqué. J’étais fasciné par son économie de mouvements.

PHOTO FOURNIE PAR L'AUTEURE

Julie et la mère de Bicha, Nhu Bich

La maison était calme, silencieuse, on entendait à peine le crépitement de l’huile chaude rôtissant les beignets. Le temps était suspendu. Il flottait presque une ambiance de solennité, voire de sacralisation.

Nous avons cuisiné ainsi quelques heures avant de prendre l’apéritif et de savourer le fruit de nos efforts. On ne retrouve pas les bánh tôm sur un menu de restaurant. La préparation est longue et ça ne serait pas « rentable ». Chaque bouchée était d’autant plus appréciée.

Il y a des instants qui nous transportent vers une douce nostalgie réconfortante. La transmission du savoir est une notion qui m’a toujours touchée. J’ai eu la chance de connaître mon arrière-grand-mère maternelle ainsi que ma grand-mère et d’avoir appris tant d’elles.

Je porte en moi des souvenirs inestimables de retrouvailles l’été au chalet. Quatre générations de femmes tricotées serrées, c’était intense en émotions ! Encore à mon âge, je profite des conseils et de la bienveillance de ma maman et il ne se passe pas une journée sans que nous nous parlions. Je suis consciente de la chance que j’ai.

Il y avait quelque chose d’émouvant et d’attendrissant à ce que Bicha et moi nous nous retrouvions avec nos mamans. Cette occasion était bien plus qu’un simple cours de cuisine, il s’en dégageait une sérénité et une grande tendresse maternelle. C’était un moment d’exception inoubliable.

Bonne fête à toutes les mamans qui, par amour, ont la volonté de transmettre leur savoir afin que les traditions se perpétuent… J’aime particulièrement ce proverbe yiddish que je partage aujourd’hui avec vous : « Dieu ne pouvait pas être partout, alors il a créé la mère. »

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