Je n’ai pas connu personnellement Guy Lafleur, je n’ai pas de carte de hockey signée par lui, mais je suis une fan finie. De la préadolescence jusqu’à la fin du secondaire, je n’ai pas manqué un match du Canadien. Je l’écoutais à la radio ou le regardais à la télé, vivant cette effervescence entre mes devoirs de math et mes lectures obligatoires d’Agaguk et d’Une saison dans la vie d’Emmanuel.

J’avais tapissé un mur de ma chambre avec toutes les photos des joueurs du Canadien et celle de Guy Lafleur trônait au milieu. Il a été mon héros des missions impossibles, comme celui de compter un but à 74 secondes d’une élimination des séries en 1979.

Depuis le 22 avril dernier, toute cette obsessive admiration pour « Lafleur » refait surface. Comme beaucoup de fans, j’ai réécouté ses entrevues et regardé en boucle des clips de ses meilleurs buts.

Coup sur coup, j’ai fait l’école buissonnière deux fois à l’Université McGill pour aller offrir mes condoléances à sa famille au Centre Bell et pour regarder ses funérailles, les yeux pleins d’eau devant le parvis de la cathédrale Marie-Reine-du-Monde. Et pendant cette heure et demie de recueillement, j’ai pensé à Guy Lafleur et à son legs d’humanité, d’humilité et de générosité hors normes, en plus de son talent exceptionnel et de sa grâce comme hockeyeur. J’ai aussi pensé à toutes ces autres pertes de vie précoces. Tout s’est mélangé dans mon cœur gros.

PHOTO YURIY DYACHYSHYN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le cimetière de Lychakiv de la ville de Lviv, en Ukraine

J’ai pensé à l’Ukraine où je viens de passer quelques semaines et ses morts précoces avec ces images de corps mutilés, perforés qui s’empilent sur nos écrans télé ou d’ordinateurs. Anonymes, comptabilisées froidement. Neuf civils sont morts lors de bombardements acharnés dans la région de Donetsk. Pas de funérailles, pas de sépulture. Plusieurs sont morts et mourront pour leur pays, un geste héroïque de tous les jours en terre ukrainienne. Et bientôt, cette couverture médiatique déchirante deviendra un fait divers entre un article sur le REM et un autre sur le jugement de Roe c. Wade protégeant le droit à l’avortement aux États-Unis.

J’ai pensé aux 15 000 Québécois et Québécoises qui ont succombé à la COVID-19. Une barrière numérique franchie il y a quelques jours. Je ne m’habitue pas à l’idée des morts atroces de faim et de soif qu’ont subies certains de nos parents âgés, immergés dans la solitude covidienne à la première vague.

J’ai repensé à toutes ces funérailles reportées pendant la pandémie où ces deuils en suspens nous ont donné l’impression que les fantômes d’êtres chers n’arrivaient plus à nous quitter.

Que ce soit pour un être méga hors normes comme Guy Lafleur ou une personne âgée mourante isolée dans un CHSLD ou un Ukrainien, mort debout, à sauver sa patrie, le devoir de mémoire envers les disparus est essentiel, voire vital. Ça donne de la valeur à leur vie perdue trop tôt. C’est en inscrivant dans la mémoire collective des personnes et leurs histoires que nous honorerons humainement leur souvenir et apprendrons de leurs vécus qui feront l’histoire.

La mort n’est pas un fait divers. La mort ne doit pas être banalisée. Guy Lafleur a marqué une génération et un peuple par son talent extrême sur la glace et par son savoir-être de star. On lui a offert des funérailles nationales pour marquer le coup. C’était nécessaire pour nous faire accepter son départ prématuré. Pour l’Ukraine, il faut continuer d’en parler avec humanité, car c’est en parlant assidûment de ce conflit qu’il demeurera un sujet central auquel nous devons nous attaquer, tant sur le plan politique que juridique. Et pour nos 15 000 Québécois et Québécoises morts de la COVID-19, on se doit de se souvenir et, surtout, d’apprendre de cette tragique séquence pandémique. On ne doit pas commettre la double faute, celle de ne pas avoir été prêts de vague en vague et celle de ne pas apprendre de vague en vague.

C’est à cela que ça sert, le devoir de mémoire.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion