C’était il y a quelques années, lors d’une conférence de presse, un journaliste avait demandé à l’ex-premier ministre conservateur, Stephen Harper, ce qu’il pensait de l’avortement. Ce dernier a fait une pause, puis a commencé sa réponse en disant : « I’m a Catholic » (« Je suis un catholique ») ! Je regardais abasourdie l’écran de ma télévision ; le bleu des yeux de Harper s’est vite décoloré pour me propulser dans le gris poussiéreux d’un quartier populaire d’Alger. Une proche venait de me raconter ce qu’avait vécu un couple qui essayait d’avorter d’un fœtus malformé.

Dans sa voiture, Amir, n’entend pas les klaxons et le brouhaha du quartier populaire qu’il essaie de traverser pour arriver au cimetière. Son regard hagard est triste. Sur le siège arrière de son véhicule, un linceul blanc couvre le petit corps de l’enfant mort-née de huit mois. Huit effrayants mois de « lutte » pour faire avorter sa femme d’un fœtus malformé qui a failli emporter sa douce moitié dans les pires conditions. Une expérience qui se raconte comme un film d’horreur dans un pays où l’avortement est synonyme de péché capital ! Sa femme, Zeina, était encore aux soins intensifs, entre la vie et la mort.

Les problèmes de ce jeune couple nouvellement marié ont commencé dès la première échographie. Le fœtus de trois mois était mal formé et la recommandation du médecin était sans équivoque : il fallait avorter d’urgence. Dans un pays musulman, l’avortement n’est pas juste interdit, il est tabou et une majorité de gynécologues refusent de le pratiquer.

Tout le monde a peur d’aller en enfer, même ceux qui ont fait le serment d’Hippocrate.

Avant de considérer la chose, l’homme et la femme devaient y penser sérieusement, car la peur d’aller en enfer a longtemps tourné dans leurs têtes. Puis, il y a eu la famille, tout le monde s’en est mêlé, chacun y allant de son interprétation de la religion, du châtiment que Dieu réserve à un tel « crime ». Après, il y a eu l’avis de l’imam du quartier, celui de la grande mosquée aussi. « Dieu fait des miracles », dira l’un ; « Dieu sait ce qu’il fait en créant un fœtus malformé », dira l’autre. Quand les douleurs dans le ventre de Zeina sont devenues insurmontables, elle était déjà enceinte de cinq mois, le couple s’est rendu à l’évidence et s’est mis à faire le tour des gynécologues pour la faire avorter. Ils ont vite réalisé que même avec l’appui des documents médicaux, les gynécologues non plus ne veulent pas aller en enfer.

Le couple, Zeina et Amir, a même pensé aller en Tunisie, le pays voisin où l’avortement est devenu légal bien avant la France grâce au travail acharné des féministes tunisiennes, avec l’aide de leur ex-président progressiste Bourguiba. Mais là aussi, il fallait des moyens et puis persuader toute la famille n’était pas chose facile… le fœtus était déjà mort dans le ventre de Ziena, qui a passé toute sa grossesse allongée et dans la douleur.

Je ne vous parle même pas de ce que subissent les jeunes filles qui tombent enceintes hors mariage et qui essaient d’avorter dans ces pays où la religion et le patriarcat se sont unis pour séquestrer le corps des femmes et leur réputation. Restent les vieilles méthodes violentes du cintre et des produits chimiques qui, selon les organisations féministes, détruisent les organes des filles… quand ils ne les tuent pas. Les boucheries anonymes des avortements dans les pays musulmans égalent les boucheries des pays aussi blancs que la Pologne.

Aujourd’hui, la fuite de l’information selon laquelle la Cour suprême des États-Unis est sur le point de renverser l’arrêt Roe c. Wade, la décision historique de 1973 qui allègue que le droit à l’avortement est protégé sous la Constitution américaine, me fait réaliser combien les religieux conservateurs sont les mêmes partout dans le monde.

Qu’ils portent une barbe ou un costume-cravate, comme les membres de la Cour suprême des États-Unis, ils ont les mêmes objectifs et la même obsession : vouloir à tout prix contrôler le corps des femmes.

Aux États-Unis, les conservateurs placent leurs pions pour déboulonner les combats des progressistes et préparer l’Amérique « immaculée » de demain. À leur tête, l’ex-président Donald Trump qui a tout fait pour placer le plus de juges radicaux à la Cour suprême des États-Unis. Ils ont même été capables d’aller chercher des femmes, produit du mouvement juridique chrétien évangéliste qui adhérent à leur idéologie, comme la juge Amy Coney Barrett.

Cette professeure de droit, mère de sept enfants qui a même trouvé le moyen d’en adopter d’autres et qui se vante de garder sa maison très propre. On l’imagine presque faire la publicité d’une marque de lessive, le rêve de la femme parfaite des conservateurs. C’est cette juge qui a succédé à Ruth Bader Ginsburg, la grande juge féministe qui s’est battue pour corriger la majorité des lois misogynes aux États-Unis depuis les années 1960. La juge Ginsburg doit se retourner dans sa tombe devant la menace de sa remplaçante qui veut détruire tout pour quoi elle s’est battue.

Vous l’aurez deviné, Amy Coney Barrett est contre l’avortement. Elle vient de déclarer : « Less abortion is more adoption » (« Moins d’avortements, c’est plus d’adoptions »)…

Bientôt, l’épreuve de Ziena et de Amir (noms fictifs) sera aussi une réalité aux États-Unis, comme c’est le cas au Honduras, aux Philippines, en Pologne et dans plusieurs autres pays. La révolution n’est pas juste féministe, c’est la révolution de tous les progressistes dans le monde. C’est une bataille perpétuelle contre le patriarcat, renforcée par une montée du religieux qui trouve aujourd’hui la perversité de vouloir remettre en question nos droits les plus fondamentaux.

Au pays des cow-boys, l’absurde ne tue pas, comme il ne tue déjà pas d’où je viens !

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion