En annonçant, le 4 mai, la fin de toute importation de pétrole russe vers l’Europe d’ici la fin de 2022, la Commission européenne vient de franchir une étape supplémentaire vers l’abandon définitif de toute forme de dépendance énergétique face à la Russie. C’est un geste historique, qui clôt un chapitre vieux de quelque 60 ans, entamé avec la mise en service, en 1962, de l’oléoduc Druzhba (Amitié) reliant la Russie à l’Europe.

Un oléoduc qui a permis un temps à Moscou, à l’époque de la guerre froide, de se gagner les faveurs des nations de l’Europe de l’Est, avec des prix avantageux, mais aussi une dépendance de ces pays face aux maîtres du Kremlin.

Cet autre rebondissement confirme que nous vivons présentement la pire crise énergétique depuis les années 1970. Une crise en fait plus grave encore qu’il y a 50 ans, car l’inflation des prix de l’énergie touche toutes les énergies fossiles, non seulement le pétrole, mais aussi le charbon et le gaz.

Nul doute que cette décision, qui force l’Europe à trouver du pétrole ailleurs qu’en Russie, devrait amener une hausse du prix du carburant.

Une inflation qui, entretemps, enrichit grandement Moscou, mais aussi tous les pays producteurs – la plupart, on le sait, des autocraties.

Mais prédire l’ampleur de la hausse du prix à la pompe sur le court et le moyen terme serait périlleux. Qui aurait envisagé qu’après avoir plongé en zone négative, il y a à peine deux ans, à la suite de la pandémie, les cours du baril auraient pris une telle tangente ascendante ?

Trop de variables entrent en jeu. Les mesures de confinement en Chine, le premier importateur de pétrole au monde, pourraient diminuer significativement la demande mondiale.

Les États-Unis et l’Europe disposent aussi de fortes réserves de pétrole, et ils ont annoncé qu’ils les utiliseront. C’est de loin la plus grande mise à contribution de ces réserves depuis l’adoption de cette mesure, décidée en 1974, avec la création de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

Les effets de cette mise en disponibilité de pétrole sur le marché, soit l’équivalent de 1 million de barils par jour pendant six mois, restent à voir.

L’attitude de l’OPEP

L’attitude de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) jouera aussi un rôle déterminant dans l’équation. Depuis la révolution des hydrocarbures de schiste aux États-Unis (décennie 2010), ceux-ci sont devenus des compétiteurs au pétrole produit par ce cartel. Si bien que son principal acteur, l’Arabie saoudite, s’est rapproché de la Russie, dans un cartel nommé OPEP+. L’Arabie saoudite est moins réceptive qu’auparavant aux demandes occidentales d’agir comme une sorte de « banque centrale » du pétrole, prête à intervenir en augmentant rapidement sa production, pour atténuer les hausses brutales des prix.

Mais, en même temps, l’OPEP sait fort bien qu’une augmentation trop forte du prix de l’essence pose le risque d’une chute de la demande mondiale.

Pire : elle pourrait inciter à l’adoption plus rapide des véhicules électriques dans les pays riches et en Chine.

Cette transition vers l’électricité représente la plus grande menace assombrissant l’avenir de ces grands producteurs de pétrole. Ceux-ci ne veulent assurément pas trop contribuer à l’accélérer. Ils tenteront de maintenir des prix alléchants, tout en essayant d’éviter une destruction de la demande qui affecterait grandement leurs recettes nationales.

L’ampleur de la hausse du prix du carburant dépendra enfin de l’attitude des consommateurs. Autant l’Europe que l’AIE ont publié ces dernières semaines des plans de réduction de la demande en pétrole. Or, ces mesures font beaucoup appel à des changements de comportement d’ordre individuel : covoiturage, diminution des voyages en avion, journée sans auto, transport public.

Bref, la fin de la dépendance énergétique de l’Europe face à la Russie repose non plus uniquement sur les politiques publiques des États, mais sur l’adhésion des citoyens à une certaine sobriété énergétique.

Étant donné le caractère international du marché du pétrole, cette réaction citoyenne déterminera en bonne partie le prix futur de l’essence, dans le monde, et ici même au Québec.

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