Les données sont sans équivoque : les difficultés psychologiques sérieuses sont en nette augmentation chez les jeunes au Québec. Malheureusement, des enfants de plus en plus jeunes sont concernés. Chez les moins de 14 ans, on note une augmentation de 28 % d’utilisation d’antidépresseurs entre 2019 et 2021. Un phénomène particulièrement marqué chez les garçons de 9 ans et moins, et les fillettes de 10 ans et plus.

Ces enfants se voient prescrire des antidépresseurs puisqu’ils n’arrivent plus à aller à l’école, à dormir, à manger convenablement ou même à jouer. Une partie de leur enfance leur est dérobée et ne leur reviendra pas.

Trop souvent, nous accueillons des jeunes dont les parents, l’enseignante, la travailleuse sociale ou le médecin avaient demandé l’apport d’un psychologue bien avant que le choix des antidépresseurs ne s’impose à cause d’un bris de fonctionnement majeur. Mais les psychologues, contrairement aux problèmes de santé mentale, se font de plus en plus rares dans nos réseaux de l’éducation et de la santé. Cela engendre des délais d’attente qui sont beaucoup trop longs. Ainsi, le brouillard se densifie autour de l’enfant et de sa famille.

Ne devrions-nous pas tout faire comme société pour être en mesure d’offrir aux enfants un traitement alternatif aux antidépresseurs, c’est-à-dire la psychothérapie ? Même lorsque des antidépresseurs sont prescrits, il est recommandé de les combiner avec de la psychothérapie.

C’est ce que le docteur Gilles Julien a expliqué le 11 février 2022, dans La Tribune : « On ne peut pas prendre à la légère les effets secondaires des antidépresseurs. Ils devraient être prescrits à la suite d’un diagnostic extrêmement rigoureux, toujours en association avec la psychothérapie. » Au Québec, 80 % des professionnels habilités à pratiquer la psychothérapie sont des psychologues.

Les antidépresseurs ne permettent pas à l’enfant et à sa famille d’apprendre à trouver un sens à leurs mondes intérieurs, à apprivoiser les peurs qui les envahissent, à tolérer la détresse, à vivre plus en paix avec leurs traumatismes ou leurs deuils.

Effets à long terme

Les effets à long terme d’une telle médication sur un cerveau et un corps si jeune sont mal connus. Certains suggèrent des risques potentiels sur le plan de la croissance, de la densité des os ou du diabète de type II. Il y a également beaucoup de points d’interrogation en lien avec un sevrage éventuel d’une telle médication commencée si jeune ; sans parler des effets secondaires possibles. Loin de nous l’intention de lancer une pierre aux médecins qui les prescrivent : ils n’ont souvent pas d’autres options puisqu’il y a de moins en moins de psychologues accessibles rapidement et gratuitement dans le réseau public. Pour leur part, les parents font de leur mieux pour aider leur enfant.

Le contraste entre ces informations troublantes et les solutions proposées par le ministre Lionel Carmant nous préoccupe grandement. Sa réponse habituelle selon laquelle il mise sur l’interdisciplinarité pour régler les problèmes d’accès aux services en santé mentale fait abstraction de la nécessité de poser des actions pour attirer et conserver les psychologues dans notre réseau public. Bien évidemment, tous les professionnels sont essentiels, mais pourquoi le ministre Carmant refuse-t-il de se pencher sur la grave pénurie qui touche les psychologues ?

D’ici deux ans, le ministère de la Santé et des Services sociaux estime qu’il manquera plus de 40 % des psychologues dans le réseau de la santé puisque ces derniers choisissent principalement de travailler dans le secteur privé.

On nous parle souvent du « bon service au bon moment ». Toutefois, ce concept est difficilement applicable puisqu’il faut souvent attendre jusqu’à deux ans pour accéder aux services d’un psychologue dans le réseau. Trop souvent, ce sont les enfants les plus vulnérables qui en paient le prix.

Monsieur le Ministre Carmant, il y a urgence d’agir ! Nous attendons un appel de votre part pour reprendre nos discussions. Fermer la porte aux solutions visant à améliorer l’accès aux psychologues et aux neuropsychologues du réseau public est inacceptable. Les conséquences sur nos enfants et sur la société sont beaucoup trop grandes.

* Cosignataires : Catherine Serra Poirier, psychologue, vice-présidente liaison de la Coalition des psychologues du réseau public québécois ; Jenilee-Sarah Napoleon, psychologue, administratrice de la Coalition des psychologues du réseau public québécois ; Youssef Allami, psychologue, administrateur de la Coalition des psychologues du réseau public québécois ; Béatrice Filion, psychologue, vice-présidente secrétaire de la Coalition des psychologues du réseau public québécois ; Connie Scuccimarri, psychologue, administratrice de la Coalition des psychologues du réseau public québécois

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