La retraite hâtive du directeur du SPVM, Sylvain Caron, nous donne l’occasion de réfléchir ensemble au type de police et de sécurité publique que nous voulons avoir à Montréal. La question s’avère toutefois plus complexe et multidimensionnelle qu’elle en a l’air.

Pour la première fois, on consultera officiellement les Montréalais à propos de la sélection d’un nouveau directeur de la police. À la suite d’une recommandation émise par l’OCPM dans son rapport sur le racisme systémique, Projet Montréal a annoncé la tenue d’une consultation publique à l’automne. La nature de cette consultation fait l’objet de critiques, et pour cause. Si bien des citoyens auraient préféré donner leur avis sur les candidats, Projet Montréal consultera seulement la population « sur les critères, sur la vision, sur les qualités qui sont recherchés ».

La question, toutefois, va bien au-delà des qualités du futur directeur ou des différents candidats. Il suffit de se tourner vers le passé pour le constater. Le meilleur chef de police qu’ait connu la métropole est Roland Bourget, qui a occupé les fonctions de directeur de 1985 à 1989. Bourget était au fait de l’évolution des pratiques policières ailleurs dans le monde et conscient de la nécessité de répondre à la demande grandissante pour une réforme du système policier à Montréal.

La plupart des réformes qu’on qualifie aujourd’hui de « nouvelles » remontent en réalité à l’époque de Bourget : un ambitieux programme de formation sur le multiculturalisme, des initiatives pour favoriser l’embauche de policiers racisés et le renforcement du dialogue et de la collaboration avec les communautés.

Si ces mesures ont eu très peu d’effets sur les problèmes comme le profilage racial et la violence policière, elles ont tout de même amorcé un processus de réforme qui aurait pu déboucher sur des changements concrets.

Des alliés au pouvoir

Bourget pouvait, et devait, travailler avec des alliés. Pendant la majorité de son mandat, le parti municipal au pouvoir était le Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM). Le RCM avait une vision claire et progressiste de la sécurité publique. Le parti entretenait des liens avec les communautés lésées par le statu quo, et usait de son influence pour faire pression en faveur d’une réforme du système policier, et ce, avant même son entrée à la mairie en 1986. C’est dans cette optique que le RCM a collaboré avec Bourget pour faire évoluer la police.

Mais ce vent de changement s’est toutefois essoufflé à l’arrivée d’Yves Prud’homme à la tête de la Fraternité de policiers de Montréal en 1988.

Si ses prédécesseurs s’étaient attaqués à des enjeux de travail fondamentaux, comme le salaire et les conditions de travail des policiers, le nouveau président s’est quant à lui affairé à organiser, parmi les agents, un mouvement en opposition à Bourget et aux réformes qu’il proposait.

Un des exemples de la résistance de Prud’homme a eu lieu en 1987, en réponse à la critique émise par Bourget à l’endroit du policier qui avait tué Anthony Griffin la même année. Prud’homme a alors publié une lettre ouverte, signée par 3338 des 3700 policiers, pour remettre en question la légitimité de Bourget et sa loyauté envers ses subordonnés1.

Prud’homme a poursuivi ses efforts pour freiner les réformes policières jusqu’en 1994, année où le RCM a quitté la mairie et où est arrivé à la tête du SPVM un directeur peu enclin à enrayer le profilage racial ou la violence policière.

Les possibilités de progrès sont minces

À l’aube du remplacement de Sylvain Caron, il faut reconnaître l’influence indéniable qu’ont l’administration municipale et la Fraternité sur le directeur de la police. À l’heure actuelle, les possibilités de progrès sont très minces. En effet, contrairement au RCM, Projet Montréal ne semble pas vouloir développer sa propre vision de la sécurité publique (le parti de l’opposition, Ensemble Montréal, est encore pire). Le parti s’en remet plutôt au SPVM pour la gestion des enjeux liés au maintien de l’ordre et à la sécurité publique en général.

En parallèle, la Fraternité, sous l’égide de son président actuel, Yves Francœur, use de son influence pour bloquer toute possibilité de réforme policière.

Un futur directeur du SPVM qui souhaiterait éliminer le profilage racial, par exemple, devrait composer avec un directeur de la Fraternité qui croit que ce problème n’est qu’un mythe.

Si l’importance du prochain directeur de la police est indéniable, ses actions s’inscriront dans un contexte politique défini par l’administration municipale et la Fraternité. Alors que les Montréalais amorcent le processus de sélection d’un nouveau directeur, il est temps d’exiger que Projet Montréal développe sa propre vision de la sécurité publique (une vision qui est indépendante de la police).

Et surtout, c’est le moment de se demander si le pouvoir énorme de la Fraternité est compatible avec la démocratie, voire avec la sécurité publique.

1. Suzanne Colpron, « Les policiers haussent le ton contre Bourget », La Presse, le 6 août 1988

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion