J’ai eu la chance de travailler au Forum de Montréal de 1976 à 1985. J’ai donc vu de mes yeux les années glorieuses de Guy Lafleur et du CH à l’époque où le club avait comme seul objectif de gagner la Coupe Stanley. Si j’ai été témoin de plusieurs exploits de Guy, jamais je n’oublierai ce moment abracadabrant quand il a égalé la marque en fin de match contre Boston, le 10 mai 1979, lors du septième match de la demi-finale de la Coupe Stanley – la finale avant la finale, comme on le savait tous.

Lorsque Guy a marqué ce but d’anthologie, incontestablement un des plus mémorables de son illustre carrière, jamais le toit du Forum, durant les années où j’y ai travaillé, n’a passé plus près d’être propulsé dans le ciel sous l’explosion de joie qu’il a générée. Non seulement, Guy venait d’égaler la marque avec un peu plus d’une minute à faire au match, mais il venait carrément de détruire le moral des Bruins, qui pensaient pouvoir enfin vaincre le Canadien après plusieurs tentatives malheureuses pour eux en séries.

L’excitation était au-delà de son paroxysme dans le Forum. Tout le monde se sautait dans les bras – sauf les fans des Bruins présents, évidemment – et on se doutait bien que les Bruins ne s’en remettraient pas.

En prolongation, Gilles Gilbert a eu beau faire son possible devant le filet adverse, ce n’était qu’une question de temps avant que le CH en feu gagne le match et provoque une nouvelle explosion de joie, ce qui est arrivé avec le but gagnant d’Yvon Lambert. Avec son but inoubliable et ses deux passes en troisième période, Guy a toutefois été celui qui a cassé les Bruins et redonné son élan au Canadien. Moins de deux semaines plus tard, les Glorieux gagnaient la Coupe Stanley pour la quatrième fois d’affilée.

Le numéro 10 des Rangers

Quelques années plus tard, l’annonce de la retraite de Guy à 33 ans m’avait fendu le cœur. Je me souviens encore que j’étais en train de laver ma voiture lorsque j’ai entendu la nouvelle. Je me revois ahuri, avec le boyau d’arrosage dans une main et l’éponge pleine de savon dans l’autre, à ne pas croire ce que j’entendais à la radio. Guy n’était pas fini, il était seulement écœuré, avec raison, parce qu’il était mal exploité dans l’étouffant système de non-jeu de Jacques Lemaire.

Son retour avec les Rangers en 1989 a été le théâtre d’un moment à la fois très spécial pour moi et évocateur de sa grandeur légendaire à mes yeux. Lorsque Guy a fait son retour au Forum avec les Rangers le 4 février 1989, j’y étais avec mon père et mes deux frères. C’est la seule fois où nous avons été voir un match des Canadiens les quatre ensemble.

Pour souligner l’occasion et ce retour historique, mes frères et moi avons offert à mon père un chandail des Rangers avec le numéro 10. Si mon père a fort apprécié ce cadeau un brin audacieux pour un grand fan du CH comme lui, il n’a toutefois pu se résoudre à porter le chandail durant le match. Pour moi, il n’était cependant pas question que ce chandail reste dans un sac et ne soit pas porté durant ce match hors du commun. Avec l’accord de mon père – c’était tout de même son cadeau –, j’ai donc porté ce fameux chandail numéro 10 des Rangers ce soir-là et je l’ai fait fièrement.

Guy Lafleur est le seul joueur qui aurait pu me faire porter et qui m’a bel et bien fait porter le chandail d’un autre club de la LNH que le CH dans le Forum.

Et au nombre de pouces en l’air auxquels j’ai eu droit durant la soirée et en voyant les nombreux autres chandails similaires dans la place, il était évident que nous étions nombreux à jubiler de revoir notre héros sur la patinoire et de montrer au CH qu’il s’était planté en poussant Guy prématurément à la retraite.

Égal à lui-même et toujours à la hauteur dans les grandes occasions, le Démon blond a compté deux buts en plus d’être complice d’un autre. Il va sans dire que ses deux buts ont été ovationnés à tout rompre. Après le match, Patrick Roy avait d’ailleurs déclaré quelque chose du genre que c’était bien la première fois qu’il voyait la foule du Forum être aussi heureuse de voir un adversaire compter contre lui. Le Canadien a eu beau gagner le match, Ti-Guy a volé le show.

Je n’ai d’ailleurs jamais compris pourquoi on lui avait décerné seulement la deuxième étoile au lieu de la première ce soir-là. Si ma mémoire est bonne, c’est Dick Irving qui les avait choisies et avait donné la première à Shayne Corson, qui avait réalisé ce que j’appelle un faux tour du chapeau, soit avec le troisième but dans un filet désert. En voilà un (Irving ou quiconque ayant choisi lesdites étoiles en cette soirée mémorable) qui a raté une belle occasion de faire une fleur à une légende qui la méritait pleinement, en plus d’offrir à ses innombrables fans le point d’exclamation final qui aurait parfaitement couronné ce retour magique de Guy dans son temple. Inutile de dire que les « Guy ! Guy ! Guy ! » ont été nombreux durant cette soirée électrisante au possible !

Merci, Guy, pour tous ces moments inoubliables que tu m’as et que tu nous as fait vivre ! Merci aussi d’être toujours resté authentique et accessible au fil des ans et de tes exploits, ce qui n’a fait que grandir la place spéciale que tu occupes parmi nous et en nous. La légende de la Comète blonde est inscrite en moi à jamais et j’aurai toujours plaisir à faire vivre ton souvenir avec la même passion que celle qui t’a animée sur la glace, ce qui n’est pas peu dire. J’imagine qu’on te verra maintenant illuminer le ciel, chevelure au vent et filant à vive allure parmi les étoiles où tu continueras assurément de briller, tout en veillant sur les tiens, à qui j’offre sincèrement mes condoléances.

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