Après six saisons, la très populaire série District 31 tire sa révérence. Plus la fin approche, plus l’auteur Luc Dionne, la production ainsi que les comédiens et comédiennes reçoivent des éloges bien mérités. C’est une série créative qui a réussi à traiter avec intelligence plusieurs enjeux de sociétés. On s’est beaucoup attaché aux personnages.

Même si j’ai beaucoup aimé cette série, et au risque de me faire traiter de rabat-joie, j’aimerais quand même apporter un bémol. Principalement, je dirais que cette très bonne série, malgré toutes ses qualités, a inopportunément escamoté les enjeux d’une société hétérogène. Ici, le Québécois normatif est un Québécois « de souche ».

La représentation de la diversité, pourtant bien réelle au Québec, n’a pas fait partie de l’imaginaire de la série. Nombreux sont ceux qui disent que la série a été éducative. Oui, à plusieurs égards. Mais contrairement à une série comme M’entends-tu, District 31 présente un Québec d’antan. J’oserais même dire qu’il s’agit de l’une des raisons pour lesquelles cette série a été aussi populaire. Elle présente une image réconfortante du Québec d’autrefois.

Je doute que les minorités visibles du Québec se soient reconnues dans cette série, comme l’on fait les minorités asiatiques avec la série Kim’s Convenience. Dans son discours de remerciement, après avoir été nommé meilleur acteur dans une série comique, l’acteur canadien d’origine sud-coréenne Paul Sun-Hyung Lee1 parlait de l’importance et de l’impact de la représentation des minorités dans nos séries. « Quand des personnes et des communautés se voient à l’écran, elles vivent un moment inspirant… elles ont l’impression d’exister, d’être moins marginales et d’avoir une voie porteuse d’espoir… »

Avec ses multiples changements de personnages, la série District 31 aurait pu introduire des personnages principaux plus « colorés ». Elle aurait pu offrir un contrepoids aux stéréotypes dominants. Avec un tel auditoire, on aurait pu parler d’une véritable éducation au vivre-ensemble.

En 2018, j’ai publié un texte dans La Presse où je critiquais un épisode qui, à mon avis, véhiculait des préjugés sur les personnes d’origine arabe2. En réponse à mon texte, on a dit que je devais me calmer le pompon parce que c’est « juste de la fiction » et « juste du divertissement ». Dans la foulée, on aime dire que District 31 est une série réaliste. Je dirais qu’il s’agit plutôt d’un réalisme à deux vitesses.

Dans ma critique, j’écrivais que « le récit n’est jamais neutre ». Il n’est jamais « juste une histoire ». Il reflète des valeurs de société… Il façonne nos perceptions… Il nous fait vivre des émotions intenses tout en nous donnant des « bornes à penser ». Certes, le créateur a pour première mission de nous divertir. Mais il ne doit pas pour autant se dissocier du contexte social et moral qui l’entoure. Il ne s’agit pas de censure ici, mais plutôt d’encourager des fictions encore plus créatives.

Il y a vraiment des policiers issus des minorités visibles aux Québec, même des policiers de haut rang. En plus de mieux représenter la réalité d’aujourd’hui, un lieutenant d’origine arabe, par exemple, aurait pu alimenter plusieurs intrigues, surtout l’an dernier lorsque les intrigues avaient tendance à tourner en rond.

Je suis un fan de District 31. Je regarde la série depuis le tout début. Je vais sûrement avoir le cœur gros après avoir visionné le dernier épisode. Pour atténuer ma peine, j’ai l’intention de revoir les premiers épisodes de la première saison. En même temps, je vais certainement avoir un pincement au cœur, ayant la conviction que cette très bonne série a manqué plusieurs occasions d’élargir notre imaginaire social. J’aurais aimé regarder la conclusion avec le sentiment que nous regardons vraiment tous ensemble.

1. Regardez le discours de Paul Sun-Hyung Lee (en anglais) 2. Lisez « L’art de se déresponsabiliser » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion