En réponse à la chronique de Mario Girard, « Les dessous d’une décision difficile », publiée le 15 avril

Alors que des milliers de civils ukrainiens périssent sous le feu de la Russie, il est immoral d’offrir la scène québécoise aux descendants du régime agresseur de la Russie, et encore plus de justifier cette mise en scène tel que l’a fait Mario Girard dans sa chronique du 15 avril1. L’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) nourrit la guerre culturelle menée par la Russie contre les Ukrainiens en désignant la musique ukrainienne sous le terme « russe » et en permettant au pianiste russe Daniil Trifonov de performer à Montréal.

Cessons de permettre l’appropriation des compositeurs non russes

Comment pouvons-nous continuer de désigner les compositeurs ukrainiens et judéo-allemands comme « russes » alors qu’ils ne le sont pas ? Ni Schnittke ni Prokofiev ne sont russes. L’appropriation de ces compositeurs en tant que « russes » porte affront à l’identité et à l’histoire des Ukrainiens qui, pendant des siècles, ont vu leur culture détruite et accaparée par les Russes. L’OSM est aussi coupable : après avoir promu un concert « russe » pendant des mois, l’OSM a finalement cédé sous la pression de nombreux intervenants et enlevé le terme « russe » du titre d’un concert qui n’avait aucun compositeur russe au programme… Pourtant, pour une raison quelconque, le terme « russe » a été gardé dans la description du concert sur le site web de l’OSM. Est-ce de la négligence, ou de l’insensibilité par rapport aux crimes contre la culture et les vies ukrainiennes détruites par la Russie ?

Exigeons une condamnation ferme de la guerre

La communauté ukrainienne a demandé à Daniil Trifonov, pianiste, de faire une déclaration ferme contre les crimes de la Russie. Il n’a jamais émis de telle déclaration. Son seul commentaire a été émis dans une faible publication Instagram : « C’est vraiment déchirant d’être témoin de ce qui s’est passé ces derniers jours. Chaque guerre est une tragédie. En tant que musicien, j’aimerais pouvoir apporter réconfort et paix en ces temps difficiles. Je prie pour une solution qui apportera une paix durable. » Beaucoup de personnes ont répondu à son faible commentaire avec des sentiments soulignant qu’en tant qu’artiste russe en Occident, il a la responsabilité d’être clairement anti-invasion et anti-génocide.

Au lieu de condamner le génocide contre les Ukrainiens, M. Trifonov parle vaguement de « réconfort et paix », ce qui est insuffisant et diminue l’importance de la guerre actuelle, alors que des milliers d’Ukrainiens sont massacrés.

Même avant 2022, l’OSM a toujours été russophile et malgré l’annexion de la Crimée, la guerre dans le Donbass, la guerre en Géorgie, et la Tchétchénie, l’OSM ne s’est pas distancié des partisans clairs du régime de Poutine. Au contraire, l’OSM a courtisé et accueilli sur scène des musiciens comme Matsuev et Gergiev à plusieurs reprises entre 2011 et 2020. Les mêmes Matsuev et Gergiev qui ont tous deux signé la lettre de Poutine appuyant l’annexion de la Crimée par la Russie. Tous deux ont également bénéficié du soutien ouvert du régime de Poutine, y compris la promotion par l’État, des prix, et des postes au gouvernement.

Offrons la scène aux groupes opprimés

Pire encore, l’OSM a rarement, voire jamais, exploré la musique de pays auparavant opprimés par la Russie. Que diriez-vous d’élargir un répertoire extrêmement biaisé de « grande culture russe » pour permettre d’en apprendre davantage sur les artistes de groupes opprimés ?

En choisissant de ne pas amplifier la voix des opprimés, l’OSM s’engage directement dans la censure culturelle des groupes ciblés par la Russie. Je vous invite à lire cette lettre dans La Scena⁠2 pour mieux comprendre la perspective postcoloniale.

Il est temps pour les organisations musicales occidentales de cesser de perpétuer le mythe de la supériorité culturelle russe et d’exiger des artistes russes de l’Occident qu’ils soient inébranlablement contre l’invasion russe pour être considérés sur une scène occidentale. C’est le moins que le monde de la culture puisse faire pour ses amis et collègues ukrainiens.

1. Lisez la chronique de Mario Girard 2. Lisez le texte dans La Scena (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion