En 1984, une première école francophone ouvrait ses portes en Alberta. Ce qui semble une banalité aujourd’hui représentait à l’époque le fruit d’efforts acharnés de parents craignant pour l’avenir de leurs enfants, démotivés par un programme scolaire peu adapté aux besoins de jeunes ayant le français comme langue maternelle. À ce moment, la plupart des parents francophones se contentaient de l’école d’immersion, n’imaginant même pas, après des décennies d’assimilation et d’invisibilité politique, qu’il pouvait y avoir mieux.

Aujourd’hui, près de 174 000 élèves fréquentent les 700 écoles francophones hors Québec d’un bout à l’autre du pays. Un changement radical, surtout quand l’on sait à quel point l’école joue un rôle fondamental dans la construction identitaire. Et à quel point la réduction à presque néant des écoles catholiques et francophones au tournant du XXsiècle a affecté l’épanouissement des Canadiens français.

Ce changement, c’est la Charte canadienne des droits et libertés et son article 23, dont on soulignait le 40anniversaire le 17 avril dernier, qui en sont en partie responsables. J’écris en partie parce que les vrais responsables demeurent celles et ceux qui se sont battus en cour, souvent au sacrifice de leur santé mentale et physique, pour faire respecter la Charte et son article 23 par des gouvernements provinciaux peu enclins à remettre en question l’anglo-dominance.

Les demandes constitutionnelles des francophonies canadiennes

Actives dans les débats constitutionnels qui ont ponctué les années 1970 et le début des années 1980, les communautés francophones en situation minoritaire ont d’abord été déçues par le rapatriement et la Charte.

Participant à l’activisme constitutionnel alors que tout semblait encore possible dans les années pré-rapatriement, la Fédération des francophones hors Québec (FFHQ) voulait une vaste refonte constitutionnelle donnant vie à un pays plus juste envers les francophones.

En 1979, elle publie le mémoire « Pour ne plus être sans pays », cri du cœur de générations d’apatrides qui n’en peuvent plus d’être « condamnés à l’exil psychologique » au sein de leur propre pays. Le document demande une rupture avec les symboles britanniques, la transformation du Sénat en Chambre de la fédération paritaire entre les francophones et les anglophones, la reconnaissance de la dualité culturelle, le bilinguisme institutionnel de l’Ontario et du Manitoba et un système d’éducation francophone géré par la communauté desservie. Plusieurs de ces demandes seront ignorées. En effet, le premier ministre Pierre Trudeau ne voulait pas reconnaître les droits collectifs des francophones, de peur de balkaniser le pays.

Toutefois, avec l’article 23, qui donnait le droit à l’éducation primaire et secondaire aux communautés de langue officielle en situation minoritaire, les francophones du Canada disposaient d’un nouvel outil avec lequel ils devaient se familiariser.

L’article 23 et l’égalité réelle

En effet, l’article 23 n’a pas réussi à convaincre les provinces d’établir du jour au lendemain un réseau d’écoles francophones de qualité équivalente à celle du réseau de la majorité. Dans les communautés usées par la répression, ce nouveau droit paraissait bien illusoire.

Plusieurs francophones ne croyaient plus en l’éducation en français. Ils avaient peur qu’en revendiquant ces transformations majeures, ils allaient se mettre à dos les gouvernements provinciaux qui déjà ne faisaient pas grand cas de leur présence. Certains redoutaient la création de ghettos francophones qui nuiraient à l’inclusion de leurs enfants dans la société.

En Alberta, un groupe de parents baptisé le Groupe Bugnet souhaitait une révolution éducative en français. C’est ainsi qu’ils se sont battus jusqu’en Cour suprême pour faire valoir leurs droits protégés par l’article 23 et obtenir la gestion des écoles, car sans contrôle par les francophones, l’éducation répondait encore aux normes des majoritaires. En 1990, la Cour suprême a rendu un jugement historique dans cette affaire, connue sous le nom de la cause Mahé, tranchant en faveur des parents. Le jugement met en lumière le caractère réparateur de l’article 23, qui doit contrer l’érosion des minorités et « redresser les injustices du passé ».

L’article 23 est devenu le symbole d’un réveil politique des francophones en milieu minoritaire, qui ont dû s’organiser, faire entendre leurs voix et déployer des stratégies pour se réapproprier le système d’éducation et le bâtir à leur image. L’obtention de la gestion scolaire a constitué une porte d’entrée pour une participation politique accrue.

Si l’article 23 a redonné du souffle aux francophonies canadiennes, il n’a pas permis d’atteindre cette égalité réelle tant souhaitée. En ne protégeant que l’éducation primaire et secondaire, il laissait des trous béants permettant à l’assimilation de se frayer un chemin au préscolaire et au postsecondaire. La crise des universités de la francophonie canadienne, avec le cas troublant de l’Université Laurentienne, qui a failli à ses devoirs envers les francophones en fermant une myriade de programmes indispensables à la vitalité des communautés, n’est qu’un exemple du manque de protection des francophones au Canada.

Les 40 ans du rapatriement de la Constitution rappellent à quel point le moment d’effervescence constitutionnelle des années qui l’ont précédé et suivi semble désormais lointain. Si la Charte n’était pas à l’image de ce que souhaitaient les communautés francophones, elles ont appris à la mettre à leur service. Cette même Charte imposée au Québec sans son accord est devenue une planche de salut pour les communautés francophones en milieu minoritaire. Toutefois, elle venait créer une égalité factice entre les francophones du pays et les anglophones du Québec, ne prenant pas en considération les rapports inégalitaires entre les langues, qu’il faut maintenant réparer.

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