Le concept d’« économie de l’hydrogène » a fait surface lors de la crise énergétique des années 1970. Il évoquait une économie qui pourrait se substituer à celle du pétrole en produisant des carburants qui n’émettraient que de la vapeur d’eau. Aujourd’hui, l’engouement est mené par la lutte contre les changements climatiques et l’indépendance énergétique.

Dans son récent budget, le gouvernement du Québec prévoit 152 millions de dollars sur les cinq prochaines années pour soutenir le déploiement de la première stratégie de l’hydrogène vert et des bioénergies. À l’heure actuelle, le potentiel de décarbonation de la filière est toutefois limité : les coûts sont élevés et les volumes d’approvisionnement sont restreints en raison des procédés peu efficaces.

À l’horizon 2050, l’hydrogène demeurera « une portion relativement petite de l’ensemble du bilan énergétique (environ 3 % de la consommation totale) » en raison des barrières techniques et économiques, selon une étude préparée pour le gouvernement du Québec⁠1.

Ce résultat va dans le même sens que ceux du récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui estime que l’hydrogène représentera au mieux 2,1 %, en 2050, et 5,1 %, en 2100, du bilan énergétique global.

À la lumière de ces résultats, l’engouement politique et médiatique paraît démesuré. Un appel à la réalité s’impose.

L’hydrogène vert jouera un rôle dans la transition énergétique, mais pour que sa contribution à la décarbonation soit optimale, les prémisses du développement de la filière et les attentes doivent être fondées sur les connaissances techniques actuelles et futures validées par la science, sur les choix de consommation énergétiques et les niveaux d’acceptabilité sociale dans les différentes contraintes liées aux infrastructures énergétiques. Quatre pistes de réflexion sont proposées ici pour mieux présenter les faits.

L’hydrogène gris domine les marchés

Comme l’électricité, l’hydrogène est un vecteur d’énergie qui peut être produit à partir de différentes sources d’énergie. Aujourd’hui, environ 99 % de l’hydrogène mondial est produit à partir d’hydrocarbures, principalement du gaz naturel et du charbon, qui émettent des gaz à effet de serre (GES) lors du procédé de fabrication. Il n’existe aucune classification officielle de son empreinte carbone, mais celui fait à partir d’hydrocarbures est souvent classé comme de l’« hydrogène gris ». Ce dernier peut devenir de l’« hydrogène bleu » si le carbone est capté et séquestré. L’« hydrogène vert » fait référence à celui fabriqué à partir de l’électrolyse de l’eau utilisant de l’électricité renouvelable. Ces nouveaux procédés permettent d’éviter une grande partie des émissions, mais représentent moins de 1 % de la production mondiale actuelle.

Défi de la mise à l’échelle de l’hydrogène vert

Selon l’utilisation que l’on fait de l’hydrogène vert, les besoins de production d’électricité peuvent être 2 à 14 fois plus élevés par rapport aux solutions d’électrification directe, ce qui présente un défi lorsque les surplus électriques sont déjà chose du passé au Québec. Depuis 2020, une vingtaine de grands projets de production d’hydrogène vert ont été annoncés dans le monde, représentant un total de 150-200 gigawatts (soit environ cinq fois la capacité d’hydroélectricité du Québec). Une mise à l’échelle de la production d’hydrogène vert juste pour remplacer la consommation d’hydrogène gris exigerait une augmentation considérable des capacités d’électrolyseur et d’énergies renouvelables. Cela nécessiterait aussi un approvisionnement important de minéraux critiques et très coûteux souvent extraits dans des régions géopolitiquement instables.

Coûts élevés de l’hydrogène vert

Le coût de l’hydrogène varie beaucoup selon la complexité de sa chaîne de valeur (depuis sa source de production jusqu’à son utilisation finale). En considérant uniquement les matières premières et l’énergie (donc en excluant le coût des infrastructures telles que les usines, électrolyseurs, pipelines de transport, liquéfaction et stockage), on triple le coût de production de l’hydrogène lorsque celui-ci est fabriqué à partir de l’électrolyse de l’eau au Québec par rapport au reformage du gaz naturel. Dans certaines régions du monde, le coût est jusqu’à 10 fois plus élevé. Cet objectif implique une augmentation considérable du volume de production d’hydrogène à faibles émissions et une capacité de production et de distribution plus efficace, avec moins de perte énergétique et une meilleure rentabilité.

Viser les secteurs « sans regret »

De nombreuses études soulignent qu’il faut veiller à maximiser l’exploitation des carburants à base d’hydrogène vert en misant sur les secteurs « sans regret », c’est-à-dire ceux ne se prêtant pas à une utilisation directe de l’électricité, comme les industries à forte intensité énergétique (sidérurgie, aluminerie, cimenterie), les engrais et les secteurs maritime et de l’aviation. Remplacer l’hydrogène gris déjà utilisé sur les marchés par de l’hydrogène vert devra être une priorité, ainsi que passer par des stratégies ciblées qui favorisent la production et la consommation locale d’hydrogène vert dans des grappes industrielles.

Comme conclut le GIEC dans son plus récent rapport, l’hydrogène vert ne pourra à lui seul décarboner l’économie. Pour maximiser sa contribution à la décarbonation de façon rentable et efficace, le développement de la filière doit s’inscrire dans un cadre de réduction de la consommation d’énergie et d’économie circulaire.

1. Lisez l’étude « Trajectoires de réduction d’émissions de GES du Québec-Horizons 2030 et 2050 » Consultez la liste complète des signataires Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion