Le moment est venu pour les cinq grandes banques canadiennes de tenir leurs assemblées générales annuelles. En plus des rapports financiers habituels et de l’élection des administrateurs, les banques tenteront de faire reluire leurs engagements écologiques et de convaincre les investisseurs et le public qu’elles prennent les changements climatiques au sérieux et qu’elles apportent leur contribution pour lutter contre cette crise qui s’aggrave.

Mais il existe un immense fossé entre leur rhétorique climatique et la réalité de leurs pratiques commerciales qui risquent de les mener à leur perte.

Selon les derniers chiffres publiés par Rainforest Action Network1, les cinq grandes banques canadiennes figurent parmi les 20 principaux bailleurs de fonds des combustibles fossiles. Collectivement, elles ont fourni plus de 900 milliards de dollars sous forme de prêts et de services de souscription depuis 2016, année de la signature de l’Accord de Paris. En 2021, leur soutien au secteur des énergies fossiles a augmenté de 70 % par rapport à l’année précédente. Et elles ne montrent aucun signe de ralentissement.

Pas d’engagements concrets

Aucune des banques ne s’est même engagée à cesser de financer l’expansion des combustibles fossiles. Et ce, malgré le fait que le monde a déjà découvert plus de pétrole, de gaz et de charbon qu’il n’est possible d’en brûler si nous voulons limiter le réchauffement à 1,5 °C et que le rapport historique publié l’an dernier par l’Agence internationale de l’énergie affirme qu’il ne devrait y avoir aucun nouveau projet d’approvisionnement en combustibles fossiles sur la voie de la carboneutralité.

Les banques TD, BMO, CIBC et Banque Scotia se sont fixé certains objectifs de réduction des émissions qu’elles financent, notamment pour le secteur pétrolier et gazier, mais ceux-ci reposent trop sur des cibles fondées sur l’intensité plutôt que sur des cibles absolues. Cela signifie qu’elles pourraient atteindre leurs objectifs même si les émissions réelles demeurent stables ou augmentent. RBC n’a pas encore publié d’objectifs relatifs aux émissions qu’elle finance.

L’écart entre les engagements climatiques des banques et leurs pratiques commerciales réelles est clairement démontré par l’adhésion continue de la Banque Scotia au principal groupe de pression pétrolier du Canada, soit l’Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP). L’Association fait activement pression pour affaiblir, retarder et mettre fin à l’action climatique.

Parmi les exemples récents, citons leurs efforts visant à augmenter les subventions accordées aux projets d’exploration de combustibles fossiles, à retarder les hausses prévues du prix du carbone et à affaiblir la Norme sur les combustibles propres en excluant les combustibles solides et gazeux, une tentative qui s’est malheureusement avérée fructueuse.

Autrement dit, les cinq grandes banques canadiennes tentent de se positionner comme faisant partie de la solution sans s’attaquer à la manière dont elles contribuent au problème. Mais la réalité commence à les rattraper.

Les banques pourraient être obligées d’agir

Le refus des banques d’aligner pleinement leurs pratiques commerciales avec les scénarios permettant de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C entraîne de plus en plus de manifestations lors de leurs assemblées générales annuelles. Les appels à une réglementation gouvernementale se font également plus fréquents et insistants. Lors des dernières élections fédérales, le Parti libéral a promis d’exiger des plans « net zéro » de la part des institutions financières sous réglementation fédérale – une promesse qui ne s’est pas encore concrétisée.

Pour sa part, le Bloc québécois a proposé d’obliger les banques à cesser de financer de nouveaux projets pétroliers et à soumettre un calendrier pour éliminer complètement les combustibles fossiles de leurs portefeuilles. Il y a à peine un mois, la sénatrice Rosa Galvez a présenté un projet de loi qui forcerait les banques à s’aligner sur les objectifs de l’Accord de Paris et à augmenter considérablement la pondération des risques quant aux prêts accordés aux projets de combustibles fossiles.

Un nombre croissant de banques cherchent elles-mêmes à prendre une longueur d’avance en adoptant et en élargissant les politiques d’exclusion des combustibles fossiles. Au Canada, Vancity applique déjà depuis plusieurs années une politique d’exclusion des combustibles fossiles et, vers la fin 2021, la Banque Laurentienne a annoncé la fin de tout financement direct à l’exploration et la production de combustibles fossiles. L’établissement a expliqué que cette décision était motivée par le désir d’attirer une nouvelle clientèle soucieuse de l’environnement.

Le surfinancement de l’industrie des combustibles fossiles par les banques alimente la crise climatique, augmentant notre exposition à des risques et à des désastres majeurs comme les inondations et les incendies de forêt de l’an dernier en Colombie-Britannique. Les banques doivent accepter cette réalité et commencer à passer de la parole aux actes, et le plus tôt sera le mieux.

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