Espérons que le budget fédéral aidera nos agriculteurs à produire davantage. Notre planète en a grandement besoin, surtout cette année.

Le président américain Joe Biden a été le premier dirigeant du G7 à admettre publiquement que de nombreuses régions du monde connaîtront bientôt des pénuries alimentaires et, oui, la famine. En vérité, le monde manquera de nombreux produits de base dans les mois à venir. Nous voyons déjà certaines régions où les stocks sont dangereusement bas, comme au Moyen-Orient et en Afrique du Nord-Est.

La planète découvrira bientôt que la pandémie ressemblait à une répétition générale de ce qui est sur le point de se produire.

Ceci est, bien sûr, le résultat de l’invasion russe en Ukraine. En effet, la Russie et l’Ukraine exportent à elles deux plus d’un quart de l’offre mondiale de blé et un cinquième de l’offre mondiale de maïs. Avec un accès limité ou inexistant au carburant, les agriculteurs de ces régions ne peuvent même pas penser à planter quoi que ce soit dans leur sol pour le moment. Dire que l’Ukraine est le grenier de l’Europe est un euphémisme. La moitié des importations de blé de l’Afrique proviennent de l’Ukraine et de la Russie, qui est également un important exportateur d’engrais. Or, à cause des sanctions économiques, la Russie ne peut vendre à personne, sauf peut-être à la Chine.

PHOTO VALENTYN OGIRENKO, ARCHIVES REUTERS

Récolte d’orge dans un champ en Ukraine en 2016

Pour aggraver les choses, le Programme alimentaire mondial des Nations unies (PAM) a perdu l’un de ses plus importants contributeurs : l’Ukraine. Le PAM est le plus ambitieux programme de ce type au monde, aidant à nourrir 115 millions d’individus dans 84 pays, et lauréat du prix Nobel de la paix en 2020. L’année dernière, l’Ukraine était la plus grande source de nourriture pour le programme, fournissant 9 % de l’approvisionnement alimentaire total géré par le PAM, qui accuse déjà un déficit en raison des complications provoquées par la pandémie. Les pays dans le besoin pourraient ainsi ne pas pouvoir compter sur ce programme cette année.

Le monde fait donc face à un problème de grande importance à l’horizon : des pénuries alimentaires qui pourraient toucher près de 8 millions de personnes sur la planète. C’est tout simplement inédit.

Par conséquent, tous les regards sont désormais tournés vers l’Amérique du Nord pour compenser les pertes engendrées par le conflit et les sanctions. Beaucoup s’attendent, ou du moins espèrent, que les agriculteurs planteront davantage de grains cette année. Mais se fier aux quantités plantées par les agriculteurs américains et canadiens peut s’avérer problématique. Le coût des intrants, comme les engrais et le carburant, augmente encore plus que le prix des céréales comme le blé. Si le conflit devait prendre fin au cours du mois prochain, bien qu’il s’agirait d’une bonne nouvelle en soi, les agriculteurs d’ici pourraient en être perdants en raison de la chute conséquente des prix. Ces derniers sont parfaitement conscients de cette possibilité angoissante.

Ce qu’on ignore le plus au Canada, c’est qu’une entreprise canadienne contribue au problème. Canpotex, une entreprise située en Saskatchewan, a pour mandat de vendre des engrais essentiels au reste du monde pour les marchés d’exportation. L’entreprise appartient à la fois à Nutrien et à Mosaic, deux géants de l’industrie. Autrement dit, Canpotex aide ces deux entreprises à s’entendre et à gonfler les prix sur les marchés mondiaux. Ce modèle est archaïquement périlleux pour la sécurité alimentaire mondiale et la situation difficile de cette année met ce fait en lumière.

Le Canada et la Saskatchewan soutiennent depuis de nombreuses décennies un système économique axé sur l’offre, ce qui fait grimper les prix. Par conséquence, la production est ajustée en fonction des prix du marché. C’est pourquoi Nutrien a récemment choisi d’augmenter sa production de 20 %. Or, si les prix devaient baisser, les mines fermeraient. Tout simplement, mais incroyablement, irresponsable. À ses tout débuts, Canpotex avait été créée pour contrer un autre cartel en Biélorussie qui, depuis, n’existe plus. Il faudrait donc éventuellement revoir la situation et régler le problème.

Mais, si l’on se concentre sur le présent, certaines choses peuvent tout de même être faites pour aider les agriculteurs canadiens avec la récolte de cette année. Pour pouvoir produire plus, ce dont l’agriculture a vraiment besoin, c’est une réduction complète des taxes et un ajustement de nos objectifs de réduction des émissions de carbone. Les deux ordres gouvernementaux, fédéral et provincial, peuvent faire quelque chose à ce sujet.

Il est déraisonnable, voire franchement irresponsable, de continuer à honorer nos objectifs environnementaux alors que plusieurs populations pourraient potentiellement mourir de faim dans les mois à venir. Les agriculteurs auront besoin de toute l’aide possible.

La question de la nourriture consacrée à la filière énergétique est un autre défi persistant auquel nous sommes confrontés. Environ 65 % du maïs cultivé en Amérique du Nord est destiné à la production de biocarburants. Pour cette année en particulier, l’alimentation devrait être considérée comme une priorité pour les entreprises et les gouvernements concernés.

Il est très peu probable que le Canada connaisse de graves pénuries alimentaires. Néanmoins, le Canada, tout comme de nombreux autres pays, sera confronté à un dilemme réel et difficile au cours des prochains mois, soit essayer d’équilibrer la sécurité alimentaire du pays tout en aidant d’autres régions du monde. Car, il est certain que le PAM et d’autres organisations viendront frapper à la porte du Canada pour demander plus d’aide.

L’abordabilité des aliments a été et continuera d’être un enjeu important. De nombreuses familles éprouvent des difficultés budgétaires car les salaires ne suivent pas la hausse des prix des denrées alimentaires. Mais, devant la situation mondiale actuelle, nous devons honnêtement nous sentir chanceux et être reconnaissants du fait que nos tablettes d’épicerie offrent de la nourriture. Cela illustre à quel point ça va mal aller.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion