Cela ne fait aucun doute : les problématiques environnementales, généralement, ne sont compréhensibles à nos gouvernants qu’à travers une traduction dans la langue policée de l’économie de marché, laquelle ne semble pouvoir mesurer de valeur que si celle-ci est pécuniaire et ne voir du progrès que là où il y a croissance économique. L’étroitesse de ce point de vue n’est point sans conséquences : on croirait, à revêtir les lunettes de nos chères têtes économiques, que la nature ne produit aucune richesse ou que la nature n’a guère à voir avec l’économie. En effet, ces lois d’airain que nous annoncent ces prophètes en costume sont sans équivoque : hors du marché, point de salut ! Hors du marché, point de richesse !

Nous pouvons constater un certain renversement avec le Plan de réduction des émissions pour 2030, lequel associe sans hésitation la question environnementale à la question économique. Or, c’est une chose que d’admettre que sans la nature, point de société ni d’économie, mais c’en est une autre de voir en la nature un simple moyen d’accumuler dollar sur dollar. Et c’est ce dernier horizon que semble fixer le dernier plan canadien de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), et on peut raisonnablement se demander si une telle perspective n’est pas un peu restreinte.

À en croire ce plan, le progrès de la question écologique est actuellement porté par une série de leaders, quelques entreprises innovantes suivent d’elles-mêmes le droit chemin. Soit ! Mais quelle ne fut pas ma surprise de constater qu’il y avait, parmi ces chefs de file, les plus grandes sociétés pétrolières du pays ! Et c’est là qu’apparaît de manière plus évidente l’avantage de ne voir en la société civile qu’un agrégat de leaders : il suffit alors, pour le gouvernement, de donner à ceux-ci les moyens de réaliser eux-mêmes la transition écologique ! Le but n’est alors plus que de trouver la manière « la plus souple et la plus rentable possible » de réduire nos émissions de GES.

Dans le plus pur esprit du laissez-faire, l’État se montre comme un père bien permissif, comme le parent naïf qui voit en son enfant turbulent un angelot vertueux : ce plan désigne les sociétés pétrolières comme des partenaires fiables de l’inévitable et essentielle transition écologique.

Tout cela permet de justifier le fait de décider avec elles, donc sans grande contrainte, les plafonds de leurs propres émissions de GES. On peut d’emblée prévoir que ceux-ci seront insuffisants à l’atteinte de nos objectifs environnementaux.

Mais ce plan sert aussi à se lancer des fleurs et à souligner le soi-disant succès des mesures écologiques instaurées au cours des dernières décennies, et ce, même si le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est on ne peut plus clair : nous échouons actuellement à réaliser les objectifs écologiques que nous nous sommes fixés, et si nous n’instaurons pas de mesures plus draconiennes, les conséquences des changements climatiques seront irréversibles. C’est ainsi que, même si le plan admet que les émissions de GES du Canada ont augmenté au cours des 20 dernières années, une pirouette intellectuelle permet de présenter la transition écologique du Canada comme un succès en raison du fait que l’économie a crû plus rapidement encore !

Une simple lecture de ce plan rend évident le fait que le Canada n’est pas près de décarboniser réellement son économie. La sortie des hydrocarbures n’est même pas envisagée, pensez-vous ! Au contraire, ce plan réaffirme la volonté du Canada d’être une puissance mondiale dans la production de pétrole. La crise écologique est l’occasion même de renforcer notre place. Génial coup de marketing, la crise écologique actuelle permettra au Canada de se différencier des autres pays producteurs de pétrole en proposant l’offre d’un nouveau produit que même les plus grandes plumes de la science-fiction n’ont jamais envisagée : du pétrole vert ! Le bateau coule, et nous faisons partie des simplets qui cherchent à tout prix à en devenir le capitaine ! Plutôt que d’avoir pour objectif de dissocier l’économie canadienne de ce qui est pourtant l’industrie contribuant le plus largement aux changements climatiques et plutôt que d’avoir des objectifs ambitieux de réduction de notre consommation générale d’énergies fossiles, ce plan ne vise qu’à diminuer la quantité d’émissions de GES générée lors de l’extraction même du pétrole, ce qui en fera alors du pétrole plus « vert » que celui de nos voisins.

Alors, nous ne pouvons que nous demander : quelle est la réelle fin du Plan de réduction des émissions pour 2030 ? Quel est le réel objectif de cette démarche de transition écologique ?

Il semble ici que le gouvernement canadien ait inversé la fin et le moyen de la transition écologique : plutôt que de voir en notre bonne économie le moyen de réaliser des objectifs environnementaux ambitieux, Ottawa a tout simplement réalisé que le maintien de notre niveau économique actuel serait impossible sans transition écologique. Qu’on ne se méprenne pas : il est de prime importance pour un pays d’avoir une économie prospère et il est essentiel que tous les emplois perdus au profit de la transition soient compensés. Rien, cependant, n’excuse l’aveuglement volontaire quant au caractère de fin en soi de la transition écologique ni les courbettes ridicules faites aux secteurs les plus polluants de notre économie.

Cessons de confondre valeur économique et richesse. Qui veut la fin veut aussi les moyens. Les proclamations vides et dégoulinantes de bons sentiments ne feront pas le bien-être des Canadiens de demain. L’absence de moyens efficaces pour mener à terme les nécessités de l’époque est la preuve irréfutable que nos gouvernants, qui se font souffler les réponses par les pontifes du pétrole, doivent revoir leur copie.

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