De l’aveu même de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), et sans grande surprise, ce sont les travailleurs du centre-ville qui tardent à retourner au bureau et qui resteront probablement dans une plus grande proportion en télétravail constant ou partiel. Ces emplois de professionnels bien rémunérés se prêtent effectivement davantage au travail hybride.

Nous assistons donc à un changement de paradigme en matière de transports en commun, voire d’aménagement du territoire. Cette dualité toute nord-américaine entre « banlieue-dortoir » et « centre-ville fantôme » hors des heures de bureau doit être repensée complètement. Il faut souligner que cette remise en question avait débuté avant la pandémie, mais celle-ci aura eu l’effet de propulser l’enjeu à l’avant-plan. Il est acquis que pour que le centre-ville conserve sa vitalité économique, il doit devenir avant tout un lieu de destination, mais aussi, et surtout, un quartier à part entière avec ses résidants, ses écoles, ses commerces de proximité en plus de l’offre événementielle et culturelle déjà existante. La même logique doit s’appliquer aux quartiers périphériques, qui doivent servir non seulement de lieux de résidence, mais aussi de pôle d’emplois, de savoir et de culture, dans une moindre mesure certainement. Cette approche de planification du territoire par type d’usage projeté doit être repensée en faveur de quartiers mixtes, où il serait théoriquement possible d’y vivre sans devoir en sortir constamment.

Ce changement de paradigme doit se refléter directement sur la façon de planifier les transports en commun. Le réseau montréalais est bâti autour du lourd réseau actuel, soit le métro et bientôt le REM. Le réseau secondaire, l’autobus, sert principalement à rabattre les usagers vers la station de métro la plus proche. À l’image du système sanguin du corps humain, ce réseau hiérarchique sert avant tout à pomper les usagers vers son cœur, ici le centre-ville, et ensuite vers les extrémités en fin de journée. Une approche nord-américaine très efficace compte tenu de la planification historique des villes de ce côté-ci de l’Atlantique. Par contre, lorsque soudainement, le centre-ville n’est plus la destination qu’il est normalement, le réseau se vide et devient obsolète, comme nous l’avons vu en pandémie⁠1.

Un réseau résilient, à l’image du réseau parisien⁠2, doit permettre de desservir la majorité des déplacements d’un usager et non simplement sa commute quotidienne vers le bureau.

Comme le courant électrique dans un système, ou une goutte d’eau dans un réseau, l’Homo sapiens moderne, dans sa quête de productivité, utilise le moyen le plus rapide, direct et pratique pour se déplacer. Le cocktail transports en commun, marche et vélo doit être cette option qui s’impose d’office pour la majorité des déplacements au quotidien.

Pour être économiquement viable, ou du moins envisageable, cette approche doit toutefois être soutenue par une densité de population relativement élevée et une planification du territoire le permettant. Au passage, cela permettrait de s’attaquer en partie à la question de l’étalement urbain, mais c’est un autre débat.

Naturellement, Montréal ne deviendra pas Paris du jour au lendemain et notre centre-ville à l’américaine conservera en grande partie sa fonction actuelle. Ce changement dont je vous parle s’opérera sur le long terme, mais nous devons, à travers notre planification, soutenir et encourager ce changement.

Entre-temps, la réflexion sur le mode de financement des transports en commun doit aussi être l’occasion pour l’ARTM de réfléchir à sa planification, aux façons d’augmenter son achalandage en contexte post-pandémique. Cela passe par la remise en question graduelle de l’approche où le centre-ville est le point focal du réseau, un réflexe encore bien présent, comme en témoigne la plus récente ébauche du REM de l’Est. Ce projet tente de faire à grands frais ce que le réseau actuel, dont la ligne verte, fait généralement assez bien tout en étant timide au niveau de l’interconnectivité, un élément pourtant essentiel d’un réseau résilient. Je vous mets au défi, en regardant une carte du réseau de transport parisien, de m’identifier le centre-ville… je sais, je sais, Montréal n’est pas Paris.

1. Voyez le graphique sur l’évolution de l’achalandage des services de transport collectif 2. Consultez le rapport sur les résultats annuels de la RATP Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion