Il y a un mois, alors même que le monde luttait encore pour se relever d’une pandémie ayant déjà fait six millions de morts, le président russe Vladimir Poutine décidait que le moment était venu de mettre l’Ukraine à feu et à sang.

C’est peu dire que l’homme fort de Moscou a mal calculé son coup. L’économie de la Russie est sur le point de s’effondrer, les pertes qu’a subies son armée ont exposé ses faiblesses et les dirigeants du pays, ainsi qu’un grand nombre de ses institutions, sont maintenant des parias dans le monde entier.

N’ayant pas obtenu la victoire rapide que ses services de renseignement avaient promise, Poutine a décidé de jouer le tout pour le tout en ordonnant à ses généraux de renforcer leurs attaques contre les civils. Ainsi, en plus de viser les hôpitaux, les écoles, les abris et les bâtiments résidentiels, les forces russes lancent à présent leurs missiles de façon délibérée sur les musées, les sites historiques et autres maisons de la culture de l’Ukraine.

Ces attaques russes contre les institutions culturelles ukrainiennes nous montrent clairement ce que Poutine envisage pour le pays. Cela détruit complètement, si besoin était, le mythe d’une « opération spéciale » pour protéger les Russes de souche, ou encore celui d’une guerre juste visant la « dénazification ».

Quiconque serait tenté de croire les affirmations russes selon lesquelles ces attaques sont des accidents ou des opérations sous faux pavillon doit réaliser à quel point elles soutiennent la tentative délibérée de Poutine de créer une version alternative de l’histoire, une version dans laquelle l’Ukraine n’est pas une nation et ne peut prétendre au statut d’État.

Olesia Ostrovska-Liuta, directrice du complexe muséal national d’art et de culture de Mystetskyi Arsenal, à Kyiv, l’expliquait ainsi dans une entrevue récente à la CBC : « L’existence même de l’Ukraine est problématique aux yeux de ceux qui rêvent d’un empire russe, car le patrimoine ukrainien occupe une place importante au cœur de cet empire », a-t-elle déclaré. « L’existence de l’Ukraine et de sa culture oblige à poser la question : qu’est-ce que la Russie, alors ? »

Attaquer des institutions et des collections culturelles, c’est frapper le cœur d’une nation. Les efforts visant à détruire les trésors culturels et les institutions de l’Ukraine s’inscrivent dans le cadre d’une campagne plus vaste et concertée visant à nier son histoire et à effacer les fondements de son identité et de son existence en tant que nation.

Les musées, les galeries d’art, les bibliothèques et les archives sont les dépositaires et les gardiens des histoires d’un peuple. Ils nous permettent de nous rappeler qui nous sommes et d’où nous venons. Pour détruire une nation, les conquérants cherchent toujours à éliminer sa mémoire collective et les artefacts qui la soutiennent – et c’est exactement ce que Poutine essaie de faire.

C’est pourquoi les artistes, tout comme les institutions culturelles et les personnes qui les dirigent, doivent se faire entendre, non seulement pour ajouter leur voix à toutes celles qui condamnent la guerre à travers le monde, mais aussi pour trouver des moyens de célébrer la culture ukrainienne et de la protéger, ainsi que ses défenseurs.

Partout en Ukraine, le personnel et les bénévoles des musées s’efforcent de protéger les riches collections d’art historique. Cependant, la ruée pour sauvegarder les livres, les peintures et d’autres artefacts a laissé peu de temps pour penser à l’utilisation de matériaux d’emballage spécialisés, ou encore à l’entreposage à température et humidité contrôlées.

Comme nous l’apprend un reportage récent de la BBC, quand il devient impossible de déplacer des collections pour les sauvegarder, on assiste à « des tentatives de créer rapidement un inventaire numérique complet des œuvres, de déplacer des objets vers des endroits secrets et même, parfois, des cas d’employés de musées qui dorment barricadés dans des caves, aux côtés des œuvres les plus précieuses ».

L’objectif du président russe consiste de toute évidence à écraser l’Ukraine en bombardant son peuple et ses institutions culturelles. Mais la résistance courageuse du peuple ukrainien nous montre que la flamme de l’identité nationale brûle toujours vivement en lui.

En tant que chefs de file du secteur culturel canadien, nous avons la responsabilité de protéger cette flamme, mais aussi de la faire briller dans notre pays et de donner l’exemple afin que d’autres fassent de même.

Nous pouvons le faire en soutenant les efforts humanitaires, notamment l’installation des réfugiés. Nous pouvons le faire en soutenant nos collègues ukrainiens dans leurs efforts pour protéger leurs trésors culturels. Nous pouvons le faire par le biais de nos programmes, en instruisant nos concitoyens sur le peuple, l’histoire et la culture de l’Ukraine. Et nous pouvons le faire en sanctionnant la Russie et le régime biélorusse, en stoppant les échanges culturels et artistiques avec eux.

Les musées et les institutions patrimoniales du Canada sont les gardiens de la culture et de l’histoire de notre pays. Ils sont notre raison d’être, et nous ne pouvons rester sans rien faire quand nous voyons la riche histoire de l’Ukraine écrasée par un être assoiffé de conquêtes.

Sachez que, dans cette guerre, lorsque les institutions culturelles et les artistes proclament leur soutien à l’Ukraine, à son peuple, à son histoire et à sa culture, ils font beaucoup plus que de verser dans des vœux pieux – ils travaillent à repousser Poutine.

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