On accuse souvent les grandes chaînes d’abuser de la situation lorsque leurs profits augmentent au même rythme que l’inflation alimentaire. Il ne faudrait pas les juger trop rapidement.

Avec des prix alimentaires qui explosent, certaines personnes ont tendance à soupçonner les détaillants de cupidité pour profiter d’un phénomène inflationniste afin d’augmenter les prix, avec ou sans justifications. On apprenait récemment que le taux d’inflation alimentaire au pays atteignait 7,4 %, et qu’il grimpera encore fort probablement dans les prochains mois. Ça va faire mal. Alors, le scepticisme envers l’industrie ira certainement en augmentant. Tout le monde reste libre de son opinion, mais il faut faire attention avant de juger trop rapidement.

Un petit examen tout simple, comparant les marges bénéficiaires des trois grands détaillants, Loblaws, Sobeys et Metro, avec des entreprises canadiennes d’autres secteurs, nous démontre que leurs résultats financiers se révèlent plutôt modestes. Ainsi, à la fin de leurs exercices respectifs en 2021, avec au moins une bonne année de pandémie, les marges bénéficiaires de ces détaillants étaient de 3,7 % pour Loblaws, 2,7 % pour Empire/Sobeys et 4,5 % pour Metro. Certes, ce sont des résultats intéressants ; les profits sont effectivement à la hausse comparativement aux années prépandémiques. Toutefois, ces rendements se retrouvent généralement en dessous ou au même niveau que le taux d’inflation alimentaire de cette période.

Autrement dit, le rendement de ces chaînes ont fait du surplace si on le compare avec l’augmentation du coût de la vie.

Durant ce temps, dans d’autres secteurs d’activité, les bénéfices de grandes entreprises canadiennes au cours de la même période dépassaient largement ceux des grandes chaînes de l’alimentation. Par exemple, pour l’année 2021, le rendement d’Enbridge dans le domaine énergétique atteignait 13,4 % et celui de Telus en télécommunications s’élevait à 9,8 %. Dans le domaine bancaire, la marge bénéficiaire de la banque de Nouvelle-Écosse fracassait les 33,8 %, soit pratiquement 10 fois plus que les grands distributeurs alimentaires.

Nous avons choisi ces entreprises de façon aléatoire, simplement pour illustrer la situation. Il n’en demeure pas moins que les marges bénéficiaires dans le secteur de la distribution alimentaire sont généralement plus timides que dans d’autres secteurs d’activités. Il faut aussi se rappeler que plusieurs de nos régimes de retraite, et probablement aussi celui de la Caisse de dépôt et placement du Québec, possèdent des actions dans ces entreprises dont les résultats restent constants et comportent des risques limités pour nos vieux jours. Les profits permettent à l’industrie de réinvestir dans ses magasins, d’innover et d’offrir des produits salubres et de qualité.

Pour le secteur alimentaire, l’enjeu varie autrement pour des raisons évidentes.

Le malaise entre le profit et la sécurité alimentaire d’un peuple a toujours existé, ici comme ailleurs. De voir une entreprise profiter d’une manne inflationniste relèverait à la fois de l’irresponsabilité et de l’immoralisme.

Vouloir démontrer hors de tout doute qu’il y a abus s’avère pratiquement impossible, à moins qu’il y ait aveu comme lors du scandale du pain en 2017, lorsque Loblaw a reconnu avoir participé à un genre de cartel. Rien pour rassurer la population, surtout que l’enquête du Bureau de la concurrence n’avait pas donné grand-chose. À la lumière de certains scandales, l’industrie mérite son lot d’imputations.

L’équilibre entre les profits et la responsabilité sociale demeure fragile en alimentation, tandis que d’autres types d’entreprises n’ont pas cette réalité à gérer. Mais si certaines personnes croient que nos détaillants font trop d’argent, alors il faut se poser la question suivante : quel est le seuil acceptable de profitabilité en distribution alimentaire ? 1 % ? 3 % ? 5 % ?

Pour protéger les consommateurs, certains évoquent souvent la réglementation des prix au détail. Cette stratégie s’applique déjà pour quelques produits comme le lait et la bière, entre autres. Toutefois, l’intervention de l’État pour des milliers de produits deviendrait un véritable cauchemar bureaucratique et managérial, entraînant des coûts de gestion élevés qui finiraient par être refilés aux contribuables.

Au Canada, nous avons des entreprises en distribution alimentaire plutôt bien gérées, mais le manque de concurrence au pays invite souvent la critique.

Nous n’avons que cinq grands acteurs en distribution. Bien que les accusations liées aux profits existent toujours, les distributeurs pourraient tout de même démontrer une certaine empathie envers le public. On remarque peu de rabais et de promotions en magasin ces temps-ci et les circulaires semblent s’amincir depuis le début de la pandémie.

Si les grandes chaînes ne démontrent pas leur intention d’aider le consommateur qui peine à équilibrer son budget en raison de l’inflation, les critiques à l’égard de leurs profits s’intensifieront.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion