Le budget Girard inscrit les montants aux bons endroits, mais ne dit pas où l’on va trouver les bras qui manquent

Plusieurs s’attendaient à un budget électoraliste. Ce n’est pas ce qui est arrivé. Enfin, presque.

Hors du cadeau qu’Eric Girard nous fait avec notre propre argent, les priorités du ministre des Finances sont sensées. La santé. Les aînés. L’éducation. L’environnement. Le problème est que la mise en œuvre du budget pourrait être plus compliquée en pratique que sur papier.

D’abord, le bonbon. On va trouver aussi peu de contribuables déçus de recevoir 500 $ que d’économistes qui vont applaudir l’idée. En envoyant cette somme à tous ceux qui gagnent moins de 100 000 $ par an, le gouvernement arrose large : 6,4 millions de Québécois – ou 94 % des adultes de la province – vont recevoir la manne, au coût total de 3,2 milliards de dollars.

Faire pleuvoir des milliards à dépenser n’est généralement pas la meilleure façon de combattre l’inflation.

Si on voulait aider ceux qui ont été plus touchés par les hausses de prix, on pouvait augmenter le crédit d’impôt pour la solidarité, versé à 3,3 millions de Québécois. Et ça n’inclurait pas les couples sans enfants dont les conjoints gagnent chacun 80 000 $ par an…

L’économiste a eu le dessus

De façon générale, le point de vue de l’économiste a pesé plus lourd que celui du politicien.

Beaucoup espéraient des mesures pour faciliter l’accès au logis, mais à part pour le financement de 1000 nouveaux logements abordables, il n’y a presque rien. Ajouter de l’argent dans un marché surchauffé aurait empiré le problème des prix sans améliorer l’accès, en particulier pour les moins nantis. Il existe des solutions pour accroître l’offre immobilière, comme bâtir davantage et inciter les propriétaires à rester dans le locatif, mais elles sont de nature législative et réglementaire. On a hâte de savoir lesquelles le gouvernement choisira.

En environnement, aussi, l’économiste a parlé. Les subventions aux voitures électriques sont un peu réduites, même si elles demeurent élevées (7000 $, plutôt que 8000 $, et 5000 $ pour les hybrides rechargeables). Les constructeurs peinent à satisfaire la demande pour les voitures électriques, leur prix baisse, et le coût de l’essence monte. Le financement de bornes de recharge annoncé pour Montréal et Québec va faire une plus grande différence pour l’adoption des voitures électriques. Il faudra l’étendre ailleurs.

Taxer le carbone à un niveau suffisant reste la meilleure façon de décourager la pollution, comme l’ont déjà fait valoir une trentaine de récipiendaires du Nobel d’économie, de gauche et de droite⁠1. La contrepartie est de redonner ces sommes à la population, ce qui récompense fiscalement les bons comportements.

Présentement, le gouvernement fait le contraire : il engraisse un Fonds vert qui donne peu de résultats, avec un prix sur le carbone qui a peu d’impact sur la pollution. Le prix du carbone au Québec est inférieur à la taxe fédérale, et largement sous celui de l’Europe. Sans surprise, nous sommes à des années-lumière d’atteindre nos cibles de réduction pour 2030. On aurait aimé voir plus d’audace alors que l’Arctique et l’Antarctique pulvérisent des records de température…

Le Québec va manquer de bras

Sans surprise, la santé dévore toujours la plus grande partie des dépenses publiques, et cette part s’accroît plus vite que toutes les autres.

Si la « refondation » du système de santé ne s’accompagne pas de gains d’efficacité considérables, on risque de trouver que la pandémie n’était pas trop mal par rapport à ce que le vieillissement de la population va nous faire subir.

D’abord, parce que les milliards ne sont pas infinis, même si la santé ne manque pas d’appétit. Mais surtout, parce qu’on va manquer de bras.

Le gouvernement veut plus de soins à domicile. Il veut des infirmières et des préposés pour ses maisons des aînés. Il veut ouvrir 15 cliniques pour les milliers de Québécois qui souffrent de la COVID longue. Il veut ajouter des coordonnateurs dans les urgences. Il veut ajouter 5000 (cinq mille !) agents administratifs pour sortir les infirmières du papier et les ramener sur le plancher. C’est sans compter le personnel qui manque déjà dans les hôpitaux.

Ça signifie recruter plusieurs milliers de travailleurs, juste pour garder le système à flot, avant l’effet qu’aura le vieillissement de la population. Et ça, c’est seulement en santé. Parce qu’on espère aussi recruter des enseignants et des éducatrices, entre autres.

Ce qui mène à l’enjeu crucial que le budget n’a pas abordé : les Québécois de 60 ans et plus travaillent moins que les autres Canadiens du même âge.

Le ministre Girard a souligné notre faible taux de chômage. C’est une bonne nouvelle, mais ça signifie aussi qu’à moins de se cloner, on devra sortir des Québécois de la retraite, retarder celle de milliers d’autres, et aller chercher à l’étranger la main-d’œuvre qui nous manque pour être capable de s’occuper de nous-mêmes.

On ne trouve rien de ça dans le budget. C’est peut-être, justement, une discussion qu’on ne voulait pas avoir avant les élections.

1. Lisez la déclaration de 28 récipiendaires du prix Nobel d’économie sur les dividendes du carbone (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion