Malgré les restrictions sur les voyages transfrontaliers, le nombre de demandeurs d’asile qui sont entrés récemment au Québec de manière irrégulière par le chemin Roxham est sans précédent pour les mois d’hiver. Les chiffres les plus récents indiquent que 2367 migrants sont entrés pendant un mois de janvier particulièrement froid. Presque 3000 migrants sont entrés en décembre. À ce rythme, la GRC interceptera cette année un nombre record de demandeurs d’asile sur la frontière américaine.

On ne parle pas beaucoup de ces migrants irréguliers depuis deux ans pour une raison simple : le gouvernement Trudeau a invoqué la protection de la santé publique dès le début de la pandémie afin d’empêcher leur entrée. Pourtant, il nous affirmait pendant les trois premières années de l’administration Trump que c’était impossible de les bloquer à la frontière terrestre. Le décret adopté pour « fermer » le chemin Roxham a été levé en novembre dernier et le nombre de demandes d’asile a aussitôt explosé.

On revient donc à la politique incohérente qui avait déjà créé la controverse. Si les migrants se présentent au poste officiel à Lacolle, les agents frontaliers invoquent l’Entente entre le Canada et les États‑Unis sur les tiers pays sûrs afin de les empêcher d’entrer pour demander l’asile. Cependant, si les migrants vont à peine quelques kilomètres à l’ouest au chemin Roxham, la GRC leur permet d’entrer en vertu d’une exception dans l’Entente. Il n’y a pourtant aucun principe de protection qui pourrait expliquer un traitement différencié qui dépend du point d’entrée.

Au lieu d’expliquer le dilemme résultant de cette exception, le gouvernement Trudeau n’a pas pu résister au moralisme facile dans un contexte trumpien. Il faut souligner le cynisme derrière cette image superficielle d’ouverture. La politique canadienne en matière d’asile a toujours été fondée sur l’idée d’empêcher l’arrivée des demandeurs d’asile. Ce n’est pas par hasard que de nombreux migrants prennent un vol transcontinental jusqu’à New York, puis le bus/taxi jusqu’au chemin Roxham. Ils n’auraient jamais pu voyager directement au Canada de manière légale, car les autorités canadiennes sont plus sévères par rapport à l’octroi des visas. D’ailleurs, la décision récente de délivrer rapidement des visas aux Ukrainiens paraîtra éventuellement comme deux poids, deux mesures.

Un symbole

Sauf que Roxham est devenu un symbole : soit on est proréfugiés, soit on est contre l’immigration et peut-être même raciste. Une analyse plus profonde révèle néanmoins que le gouvernement Trudeau a toujours insisté devant les tribunaux qu’on pouvait renvoyer les migrants vers les États-Unis, considérés comme « pays sûr » où leurs droits sont respectés. Bien entendu, il ne le dit pas haut et clair, car cela pourrait nuire à l’image qu’il veut projeter.

De la même manière, le gouvernement Trudeau refuse d’expliquer ce qu’il entend par l’engagement à « moderniser » l’Entente qui se trouve dans la lettre de mandat du ministre de l’Immigration. Il s’agirait logiquement d’éliminer l’exception incohérente, mais un tel message direct serait incompatible avec la marque Trudeau.

Le Canada n’est pas seul à faire face aux dilemmes liés à l’asile. Même avant le nouveau flux de réfugiés ukrainiens, les demandes d’asile étaient en hausse à travers l’Union européenne. Malgré l’arrivée d’une administration à Washington qui se présente comme proréfugiés, le problème à la frontière mexicaine s’aggrave. Dans un contexte post-pandémie qui sera caractérisé par une augmentation de la mobilité internationale, tous les Canadiens ont intérêt à refuser une politique d’asile axée sur l’image superficielle. Le gouvernement pourrait rassurer la population en abordant la question du chemin Roxham avec une nouvelle approche qui met l’accent sur la gestion cohérente et transparente des demandes d’asile.

*L’auteur a enseigné le droit des réfugiés dans plusieurs pays et il a rédigé des rapports gouvernementaux et onusiens sur les réfugiés. Il est aussi rédacteur adjoint du magazine Global Brief.

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