Je lisais, le dimanche 6 mars dans un média canadien, qu’il fallait faire attention à l’information venant de l’Ukraine. Elle serait parfois exagérée ou déformée, ce qui pourrait faire perdre à l’Ukraine sa crédibilité internationale… Une minute, voulez-vous ?

Il n’est pas simple du tout, ni toujours possible, de répondre de façon irréprochable sur le plan moral à une guerre immorale, entre autres lorsqu’aucun pouvoir externe ne peut s’interposer ou ne voit pas la pertinence de le faire.

L’angle moral de la guerre psychologique

Il est maintenant admis que Vladimir Poutine use allègrement depuis des années la désinformation pour entre autres déstabiliser des démocraties et influencer insidieusement des élections.

Si on reconnaît d’emblée qu’il ne manifeste pas les valeurs morales auxquelles l’Occident adhère, il en va tout autrement du regard que l’on portera sur l’agressé, ici l’Ukraine, et sur les moyens que ce pays utilisera pour se défendre et survivre.

Peu ou pas de valeurs morales habitent ce type de manipulateur pour qui tous les coups sont permis, s’ils contribuent à atteindre le seul objectif valable à ses yeux : éliminer cet autre qui est perçu, à tort ou à raison, comme un danger majeur à sa survie ou à sa suprématie.

Nous sommes en général mal équipés pour y faire face parce que l’honnêteté, la vérité, l’équité et autres valeurs morales, à divers degrés, comptent pour nous. Et c’est précisément sur le cadre restrictif dicté par ces valeurs morales que comptent ces manipulateurs.

Deviendrons-nous à l’image de l’agresseur ?

Nous nous sentirions coupables de transgresser partiellement et temporairement des valeurs morales que ces manipulateurs considèrent comme des faiblesses : suis-je en train de devenir immoral moi-même ? Quelle horreur ! 

La crainte d’une telle éventualité nous rebute assez pour que nous cherchions ailleurs une autre porte de sortie. Une fois, deux fois, trois fois. Et s’il n’y en avait pas d’autre ?

Dans une agression de ce genre, nous ne déterminons pas les règles du jeu. L’adversaire attaque et dicte le jeu selon ses propres règles. Et, à contrecœur, nous aurons intérêt à apprendre ce nouveau pas de danse si nous ne voulons pas y laisser notre peau.

L’information est un de ces pas de danse. Elle a, dans le présent contexte, le pouvoir d’enlever tout courage et espoir dans le cœur de ceux qui se défendent ou, au contraire, de galvaniser ce courage pour trouver de nouvelles forces. Elle a celui de soulever l’opinion d’une population entière contre une autre et de semer le doute chez qui l’entend, ou le pouvoir de rétablir un rapport de force psychologique plus équitable afin de maximiser les chances de survie.

C’est d’abord sur le plan moral que tout se joue

Malheureusement, notre société ne manquera pas de reprocher à ceux qui subissent l’agression de trahir les règles morales qui nous gouvernent si ceux-ci apprennent à danser sur le même rythme psychologique que l’agresseur.

Pourtant, l’OTAN a jugé bon d’apprendre à l’Ukraine ses stratégies de combat et de défense, sans pour autant juger ensuite que l’Ukraine devenait un pays violent. Pourquoi en serait-il autrement du combat psychologique, y compris celui de l’information ? On ne parle pas ici d’attaquer l’autre, mais de se défendre.

Alors qu’aucune valeur morale ne restreint les actions de l’agresseur, l’agressé est contraint, dans sa défense, par les siennes ET celles de sa société, sous peine d’être tout aussi condamnable que l’agresseur pour qui ces valeurs et ces règles n’existent pas.

Vaut-il mieux garder sa gentille trottinette et mourir en héros moralement digne, ou survivre en se défendant, temporairement et à contrecœur, avec un char d’assaut ?

On dit que l’Ukraine pourrait perdre sa crédibilité internationale parce qu’elle apprend elle aussi à danser avec l’information… Une triste injustice qui ajoute, il me semble, au poids que porte actuellement ce pays.

C’est dans la durée qu’on reconnaît l’identité morale

Bien sûr, il faut que les journalistes et analystes de l’information et du web continuent sans relâche à dénoncer et à corriger la mésinformation et la désinformation, d’où qu’elle vienne. Là n’est pas le problème.

Mais gardons-nous de juger comment une personne ou un peuple se voit contraint d’ajuster les moyens qu’il utilise pour se défendre face à un adversaire qui veut sa peau, incluant l’information. Cet adversaire ne lui fera pas de quartier et ne sera pas ralenti par des préoccupations morales et idéalistes. Il ne changera pas son char d’assaut en gentille trottinette.

Et n’oublions jamais que l’identité morale réelle d’une personne ou d’un peuple se reconnaît sur la durée, aux valeurs qu’elle ou il a défendues en général dans sa vie, même si, temporairement contraint par des règles que lui imposent un agresseur, elle ou il doit amender partiellement et temporairement l’application de certaines valeurs morales, dans un contexte bien précis et limité, et apprendre à jouer selon des règles qui, autrement, lui seraient peut-être étrangères.

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