En réponse à la lettre d’opinion de Sylvain Audette et Pierre-Olivier Pineau, « La transition sans se ruiner » ⁠1, publiée le 3 mars

L’entente entre Hydro-Québec et Énergir, qui vise à électrifier le chauffage des bâtiments mais en conservant le gaz naturel en période hivernale, a été défendue par de nombreux experts et analystes au cours des derniers jours. Cette stratégie, qui implique une subvention à l’énergie fossile payée par les consommateurs d’électricité, serait la plus à même, selon eux, de protéger les tarifs d’électricité tout en permettant une certaine réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Ces arguments, s’ils sont corrects intrinsèquement, ignorent l’enjeu principal : l’incompatibilité de cette approche avec les objectifs climatiques du Québec. En proposant de laisser à Énergir le soin de gérer sa pointe, Hydro-Québec choisit délibérément un plan d’action qui va à l’encontre des cibles de réduction de GES adoptées par l’Assemblée nationale en 2016 et maintenues par le gouvernement actuel.

Le Québec s’est engagé à réduire ses émissions de GES de 37,5 % par rapport à 1990 d’ici 2030 et vise la carboneutralité en 2050. Les émissions de GES n’ayant diminué que de 2,3 % entre 1990 et 2019, le Québec doit réduire de 35 % ses émissions actuelles en un peu moins de huit ans, un jalon essentiel pour atteindre sa cible et de 100 % (carboneutralité) d’ici moins de 30 ans.

Comme le montrent de nombreuses études, incluant nos récentes Perspectives énergétiques canadiennes, ce court échéancier ne permet pas l’utilisation des technologies de transition.

L’ampleur des transformations nécessaires à l’atteinte des objectifs climatiques exige que chaque investissement soit compatible avec la carboneutralité.

Toutes ces études montrent aussi que la décarbonation de notre société passe par une électrification massive de notre économie et une production accrue d’énergie propre. Il est absolument impossible pour le Québec d’atteindre ses objectifs par la seule efficacité énergétique ou la gestion de pointe par le gaz naturel, sans augmenter la production d’électricité.

Puisque le transport (43 % des émissions du Québec) ne peut se transformer rapidement, d’autres secteurs devront réussir une réduction des émissions de GES à court terme qui dépasse de beaucoup les 35 %, s’approchant plutôt des 80 à 90 %. Parmi ces secteurs, les bâtiments (10 % des émissions du Québec) et la combustion industrielle (15 %) devront faire figure de chefs de file.

Pourtant, Hydro-Québec se contente de faire moins que le minimum : l’entente avec Énergir permettra, au mieux, de réduire de 6 % les émissions du secteur des bâtiments, soit 0,6 % (!) des émissions du Québec. Cette entente aura aussi pour effet de renforcer le rôle du gaz naturel sur le long terme, tout en augmentant le prix de l’électricité pour compenser les pertes d’Énergir.

Les échanges que nous avons avec des acteurs sur le terrain montrent que ceux-ci ne s’engageront dans la décarbonation profonde que s’ils reçoivent un signal clair que le reste de la société bougera dans la même direction.

C’est le message contraire qu’envoie Hydro-Québec aujourd’hui, en travaillant à saper les projets de sortie du gaz naturel, par des ententes qui favorisent la biénergie et limitent l’électrification de notre économie.

Nul ne nie que l’atteinte des cibles climatiques du Québec exigera une prise de risques importante et une réorganisation des tarifs d’électricité. Face à une crise de l’ampleur de celle du climat, l’inaction n’est toutefois pas la solution.

Les gouvernements ont agi de manière forte face à la pandémie en déployant des mesures et des programmes visant à réduire l’impact économique chez les citoyens les plus touchés. L’approche pour la transition énergétique doit être similaire : il faut entreprendre les actions nécessaires pour l’atteinte des objectifs climatiques et mettre en place les mesures permettant de pallier les inégalités qui pourraient en résulter.

Protéger le statu quo en défendant cette entente entre Hydro-Québec et Énergir, selon le raisonnement qu’une hausse de prix érodera le soutien pour la transition dans la population, est un appel à l’inaction qui ne peut être justifié économiquement, socialement ou environnementalement alors que la nécessité d’agir immédiatement est plus criante que jamais dans l’histoire.

Au contraire, l’entente aura pour effet de renforcer la perception que le gaz naturel est une partie importante de la solution, alors que ce n’est pas le cas, ce qui rendra plus difficile son abandon ultérieur. Notre société a certainement la capacité d’innovation nécessaire pour réaliser la transition énergétique, sans pour autant étouffer les plus faibles. C’est là qu’il faut mettre nos efforts, pas dans la défense du statu quo.

* Cosignataires : Simon Langlois-Bertrand et Florian Pedroli, associés de recherche à l’Institut de l’énergie Trottier, Polytechnique Montréal ; Louis Beaumier, directeur exécutif à l’Institut de l’énergie Trottier, Polytechnique Montréal.

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