En étant chaque jour en contact avec la souffrance des jeunes, nous nous devons de sonner l’alarme et de prendre la parole pour eux. Bien souvent, ils n’en ont ni l’énergie ni l’opportunité. À vrai dire, beaucoup d’entre eux n’arrivent pas à mettre des mots sur ce qu’ils vivent. Un peu comme des passagers qui ont survécu à un écrasement d’avion à qui on demanderait d’expliquer les raisons de l’accident sans qu’ils aient accès à la boîte noire ou à la version du pilote.

De nombreux jeunes n’arrivent pas à comprendre, encore moins à exprimer, ce qui se passe à l’intérieur d’eux. Cela augmente leur mal de vivre et leur sentiment d’impuissance. Certains rapportent des douleurs physiques intenses qui les empêchent d’aller à l’école, d’autres arrêtent de manger, d’autres ressentent une colère grandissante qui les amène à s’isoler ou à devenir agressifs envers les autres ou eux-mêmes. Beaucoup trop d’entre eux pour qui la douleur devient insupportable tentent de s’enlever la vie. Récemment, une augmentation de 23 % des tentatives de suicide chez les adolescentes québécoises a été rapportée. Des actes de désespoir qui parlent de leur niveau de détresse, de la sévérité de leur état psychologique et de la nécessité de leur offrir des services spécialisés pour éviter un autre passage à l’acte ou une dégradation de leur état.

Tristement, certains jeunes qui ont tenté de mettre fin à leur vie doivent ensuite composer avec des séquelles physiques et des traumatismes souvent associés à un tel acte en plus de leur souffrance psychologique initiale.

Leurs parents se retrouvent souvent dans le néant, eux aussi sans « boîte noire » et sans aide. Malgré eux, leur souffrance s’amalgame à celle de leur enfant, et le tout grossit telle une boule de neige qui dévale une pente.

Sans aide adéquate à la suite d’un passage à l’acte aussi sérieux, le désespoir chez les jeunes et leurs familles ne peut qu’augmenter. Trop de jeunes retournent chez eux après une visite aux urgences ou une hospitalisation sans savoir quand les services de prise en charge débuteront.

En plus d’obtenir l’aide d’une psychoéducatrice ou d’une technicienne en éducation spécialisée pour favoriser leur fonctionnement dans le contexte scolaire, d’une travailleuse sociale pour soutenir leur famille, ces jeunes devraient pouvoir bénéficier du soutien d’une psychologue pour identifier et traiter les enjeux sous-jacents à leur grande détresse. Toutefois, en raison de la pénurie grandissante de psychologues dans le réseau public au détriment du secteur privé, les jeunes les plus vulnérables restent souvent sans cette aide psychologique spécifique.

Quel message envoie-t-on aux jeunes et à leurs familles si même le fait de tenter de s’enlever la vie ne mène pas à l’ensemble des services appropriés ?

Ce 23 % d’augmentation des tentatives de suicide en seulement deux ans devrait provoquer de longues discussions et des consultations avec des experts à l’Assemblée nationale et la mise en place de mesures conséquentes. Mais ce n’est malheureusement pas le cas. Pourquoi ? Comme vous, nous nous le demandons.

L’écart entre l’intensité de la souffrance avec laquelle nous sommes en contact dans notre travail et les moyens suggérés pour améliorer les services en santé mentale dans le nouveau plan interministériel, particulièrement l’accès aux psychologues, nous préoccupent énormément. On pourrait même dire que cela nous glace le sang puisque nous sommes trop souvent témoins des répercussions sérieuses des problèmes de santé mentale non traités chez nos jeunes : perte d’espoir, accumulation de troubles de santé mentale, décrochage scolaire, incapacité à fonctionner ou à contribuer à la société, problèmes de dépendances, violence, etc. Agissons avant que notre propre impuissance grandisse au point de s’amalgamer à la leur.

Arrêtons les boules de neige avant qu’elles ne deviennent trop grosses et, de grâce, évitons une avalanche.

* Cosignataires : Catherine Serra Poirier, psychologue et vice-présidente liaison de la Coalition des psychologues du réseau public québécois ; Jenilee-Sarah Napoleon, psychologue et administratrice de la Coalition des psychologues du réseau public québécois ; Marc-André Pinard, psychologue et administrateur de la Coalition des psychologues du réseau public québécois ; Youssef Allami, psychologue et administrateur de la Coalition des psychologues du réseau public québécois ; Connie Scuccimarri, psychologue et administratrice de la Coalition des psychologues du réseau public québécois ; Béatrice Filion, psychologue et vice-présidente secrétaire de la Coalition des psychologues du réseau public québécois ; Vickie Beauregard, psychologue

Besoin d’aide ?

Si vous avez besoin de soutien, si vous avez des idées suicidaires ou si vous êtes inquiet pour un de vos proches, appelez le 1 866 APPELLE (1 866 277-3553). Un intervenant en prévention du suicide est disponible pour vous 24 heures sur 24, sept jours sur sept.

Consultez le site de l’Association québécoise de prévention du suicide

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