La Russie a envahi l’Ukraine le 24 février dernier. Alors que les horreurs du conflit se déroulent sous nos yeux, la voix de la justice internationale se fait déjà entendre malgré le vacarme des bombes. Cela peut paraître étonnant. Quel rôle, donc, pour cette justice internationale en pleine guerre ?

Le 2 mars 2022, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, a annoncé avoir ouvert une enquête relativement à l’Ukraine. Pour rappel, la CPI ne s’intéresse pas à la responsabilité pénale des États, dans ce cas précis celle de la Russie ou de l’Ukraine. Elle cherche plutôt à déterminer si des individus sont responsables de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité commis sur le territoire ukrainien.

Cette enquête est l’aboutissement d’un examen préliminaire qui a débuté à la demande de l’Ukraine en 2014. Elle vise les évènements entourant la révolte du Maïdan, en 2013-2014, ceux liés à la guerre qui perdure en Crimée et dans l’Est de pays depuis 2015, ainsi que les évènements en cours depuis l’invasion russe.

Dans les derniers jours, 39 États membres de la CPI, dont le Canada, ont aussi soutenu l’ouverture d’une enquête en sollicitant directement la CPI à cette fin. Ce soutien, en plus de participer à la légitimation des actions de la Cour, sera indispensable dans la facilitation du processus d’enquête et la cueillette de la preuve. La mobilisation est le facteur clé.

À ce stade, il est cependant trop tôt pour parler de poursuites contre des individus précis, par exemple contre le président Vladimir Poutine, hypothèse soulevée dans les médias. Les processus de la CPI prennent du temps, et la responsabilité individuelle des personnalités politiques ou des hauts gradés est complexe à établir. Une accusation visant une personne précise ne peut survenir qu’après l’enquête. Si cette dernière peut déterminer que les crimes commis par l’une ou l’autre des parties dans le conflit armé en cours constituent notamment des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité, et qu’on soupçonne qu’une ou des personnes ont intentionnellement commis ces crimes ou y ont participé, la CPI pourrait alors procéder à l’émission de mandats d’arrêt contre ces personnes. Cela inclut tout autant les auteurs directs que les « auteurs intellectuels » de ces crimes, c’est-à-dire ceux qui en sont les commanditaires, les planificateurs, ou qui les ont laissé faire en connaissance de cause, par exemple des responsables politiques ou militaires russes ou ukrainiens.

À ce sujet, des rapports d’ONG indiquent notamment des bombardements sur des hôpitaux, des écoles, des habitations, ou plus généralement sur des biens civils, qui seraient imputables à l’armée russe. Ces faits pourraient être considérés comme des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité.

Plusieurs obstacles se dressent cependant devant la CPI. En tant que juridiction internationale pénale, la Cour ne dispose pas de service de police et doit donc pour arriver à ses fins compter sur la coopération des États, des organisations internationales et d’autres parties prenantes. Rappelons ici que ni la Russie ni l’Ukraine n’ont adhéré au Statut de Rome, le traité établissant la CPI. La documentation et la préservation de la preuve des crimes commis constituent un enjeu majeur pour toutes les avenues de justice existantes pour l’Ukraine, y compris la CPI.

Le plus grand obstacle étant qu’il y a fort à parier que la Cour ne bénéficiera pas de la collaboration de la partie russe, notamment dans la recherche de la preuve et dans l’arrestation et le transfert de présumés auteurs.

La CPI n’est donc pas un rempart qui peut empêcher la progression des chars d’assaut russes, et elle ne pourra pas émettre à court terme de mandats d’arrêt contre des individus soupçonnés d’avoir commis les crimes internationaux les plus graves. Mais il est significatif que la justice internationale ait été activée aussi rapidement par l’Ukraine, et que le procureur de la CPI se soit positionné aussi énergiquement comme un acteur dont il faudra tenir compte malgré les défis auxquels il fait face. Même le président russe Vladimir Poutine a récemment inclus dans ses discours des arguments clairement inspirés du droit international pour tenter de justifier l’invasion de l’Ukraine. Autant d’illustrations que la justice internationale fixe un cadre normatif de plus en plus pertinent même dans la fureur de la guerre.

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