Tous les Autochtones vous le diront. Nous sommes, dans de nombreux dossiers, assis entre deux chaises : celle du fédéral et celle du provincial. Une position si inconfortable que nous avons la colonne toute déformée à force de chercher un équilibre.

C’est particulièrement vrai en éducation. En effet, même si les Premières Nations sont de compétence fédérale par la Loi sur les Indiens, nous sommes, en éducation, sous le régime pédagogique du Québec comme tous les autres citoyens, et ce, même au sein des communautés. Deux systèmes qui ne répondent pas toujours à nos besoins réels, à ce qui fait vraiment une différence, en particulier en ce qui concerne la préservation de nos cultures et de nos langues.

Mardi dernier, la Commission de la culture et de l’éducation de l’Assemblée nationale du Québec reprenait son analyse du projet de loi 96 : Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français. La réforme de la loi 101 si vous préférez. Une occasion pour les Premières Nations de mettre en lumière les obstacles de diplomation pour leurs jeunes liés à cette loi, près de 45 ans après l’adoption de la Charte de la langue française. La possibilité de réparer des injustices, en quelque sorte.

C’est à travers la voix de Manon Massé, députée de Sainte-Marie-Sainte-Jacques, qu’ont été présentés quatre amendements audit projet de loi. Des amendements qui toucheraient, au plus, 0,55 % des élèves du système public québécois, nettement insuffisant pour s’ériger en menace contre le fait français au Québec.

Des amendements qui nous permettraient, comme Premières Nations, à la fois de sauvegarder et de donner de la force à nos langues ancestrales, mais aussi de permettre aux élèves des communautés autochtones non conventionnés d’avoir davantage de chance d’obtenir un diplôme d’études secondaires.

L’une de ces demandes se veut l’exemption à l’épreuve ministérielle de français obligatoire pour les étudiants des Premières Nations. On parle par exemple, en 2021-2022 dans les communautés autochtones, de 209 élèves provenant de 8 écoles secondaires non conventionnées. C’est tout. Mais pour les communautés concernées, ce petit ajustement peut faire toute la différence.

Même si la Charte de la langue française reconnaît noir sur blanc « aux Amérindiens et aux Inuits du Québec le droit qu’ils ont de maintenir et de développer leur langue et culture d’origine », on ne nous en donne pas les moyens. Encore une fois, il faut se battre en empruntant le canot troué du système.

Pourtant, il y a déjà un précédent. En effet, les signataires de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois sont dispensés de certains articles de la charte. Les Cris, les Inuits et les Naskapis peuvent en effet utiliser leurs langues ancestrales non seulement pour l’enseignement, mais aussi pour l’évaluation des apprentissages de la langue maternelle. Le reste des Premières Nations du Québec, lui, doit encore jongler avec la préservation de ses langues ancestrales d’un côté et la diplomation incertaine de ses jeunes dans une langue souvent seconde de l’autre.

La réponse du ministre Simon Jolin-Barrette à ces demandes d’amendements ? Un refus. Au mieux, un renvoi vers la voie administrative des labyrinthes ministériels pour ces cas particuliers. Du cas par cas que les communautés devront prouver encore et encore alors que les Premières Nations, notamment le Conseil en Éducation des Premières Nations, savent déjà que les épreuves ministérielles en français sont souvent un frein à la diplomation des Autochtones. Mais, le ministre responsable du projet de loi 96 évoque sa peur d’un précédent du libre-choix entre le français et l’anglais pour les membres des Premières Nations. Ce n’est pourtant pas ce qui est demandé.

Néanmoins, en novembre dernier, le gouvernement provincial actuel investissait 19 millions pour l’éducation des Premières Nations. Un pas dans la bonne direction pour compenser les manques à gagner du financement en éducation provenant du gouvernement fédéral et mieux répondre aux besoins.

Le problème, c’est le financement, mais ce n’est pas tout. Sans assouplir les systèmes pour permettre des effets réels, c’est insuffisant. Nous avons la clé, mais le verrou est bouché.

Au moment d’écrire ces lignes, Samian, artiste anishinabe bien connu, publie sur les réseaux sociaux qu’on lui refuse de participer au Festival international de la chanson de Granby parce que son concert doit être 100 % français. Le problème, c’est que son dernier album, fait dans un effort de conservation et de transmission de la langue de ses ancêtres, est entièrement en anishinabemowin. Il pose d’un même élan la question à savoir si les langues autochtones, en 2022 – année qui marque le début de la Décennie internationale des langues autochtones de l’ONU rappelons-le –, doivent encore être considérées comme des langues étrangères. Dans le pays qui a vu naître ces langues, ajouterais-je.

Camille Laurin, le père de la loi 101, disait : « La langue est le fondement d’un peuple, ce par quoi il se reconnaît et il est reconnu, qui s’enracine dans son être et lui permet d’exprimer son identité ». Cela m’apparaît indéniable. Mais ce qui est bon pour un peuple devrait l’être pour l’autre, les autres, encore plus si ces autres peuples sont présents sur le territoire depuis des millénaires. Des valeurs d’ouverture, d’intégrité, d’empathie et de partage, c’est également par ça qu’on reconnaît un peuple.

Tout comme pour vous, je pense que le droit de vivre dans sa langue est non négociable. J’aimerais juste qu’on nous donne aussi les moyens pour y arriver.

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