Le 11 novembre 1918, le maréchal Foch lance cette formule presciente : « Ce n’est pas la paix, c’est un armistice de vingt ans. » La Seconde Guerre mondiale éclatera 20 ans plus tard.

Ces deux conflits ne font qu’un : le lien entre la « paix ratée » de Versailles et la montée de l’hitlérisme est largement admis. L’armistice du 22 juin 1940 entre l’Allemagne et la France sera du reste signé dans le même wagon que celui qui avait servi, pour le même exercice mais inversé, en 1918.

Ce chassé-croisé d’humiliations intergénérationnelles était une redite : le 18 janvier 1871 – à la suite de la guerre franco-allemande de 1870, qui a notamment vu l’annexion de l’Alsace-Lorraine à l’Empire –, Bismarck proclame l’Empire allemand dans la galerie des Glaces du château de Versailles. Il s’agit d’un suprême camouflet pour la France ; elle se vengera de cet affront lors du traité de Versailles (alors qu’elle reprend entre autres les territoires cédés), signé au même endroit, le 28 juin 1919.

Or, la guerre froide, opposant les grands blocs victorieux américain et soviétique, s’avérera le legs géopolitique le plus important de ces deux conflits, et de la Seconde Guerre mondiale en particulier. Cet affrontement entre les États-Unis et la Russie (prédit par Alexis de Tocqueville), qui a marqué quatre décennies, trouve ainsi une partie de sa genèse dans le conflit franco-allemand. La formule consacrée « troisième guerre mondiale » fait du reste bel et bien référence aux deux premières : c’est le même paradigme, et non un affrontement inédit, comme aura pu l’être la « War on Terror », bien qu’il se fût agi d’un théâtre tout aussi mondialisé.

On croyait clos en 1989, lors de la chute du mur de Berlin, mais surtout en 1991, lors de la dissolution de l’Union soviétique, ce sombre chapitre du XXe siècle dont les prodromes ont été semés dès le XIXe. Nous y voici brutalement replongés, avec ce réveil de « l’Ours » et de l’OTAN, qui n’a jamais baissé la garde. Cela dit, ce conflit précis couvait bien avant le 24 février dernier ; l’enquête ouverte par la Cour pénale internationale couvre jusqu’en 2014, avec l’annexion de la Crimée et les troubles séparatistes qui ont notamment mené à la tragédie du vol MH17.

Aujourd’hui, « l’Est » et « l’Ouest » se menacent à mots à peine couverts de frappes atomiques, comme si Khrouchtchev et Kennedy étaient encore au pouvoir.

Si 1962 a autant de prise sur 2022, c’est que le XIXsiècle n’est pas si loin. C’est à Versailles, le 18 janvier 1871, que Bismarck lance son fameux « Sans Iéna, pas de Sedan », une allusion au triomphe napoléonien qu’il vient de venger. C’est dans cette galerie des Glaces, à ce moment précis, que se mirent deux siècles, le XIXe et le XXe. Lier ce fil des évènements aux Révolutions française et américaine, à la guerre de Sept Ans, puis plus en amont, aux excès de l’Ancien Régime – précisément incarnés par le délire de grandeur de Versailles – serait toutefois chimérique.

Mais s’il est un évènement tangible déstabilisateur entre Iéna (1806) et Sedan (1870), c’est bien la guerre de Crimée (1853) et le traité de Paris (1856) qui y met un terme, en consacrant entre autres la défaite de la Russie. La guerre franco-prussienne de 1870 n’aurait sans doute pas eu lieu sans le réalignement fondamental d’alliances qui en découle.

La guerre de Crimée est le premier conflit dit « moderne » qui a brutalement rompu l’équilibre mondial, ce « système Metternich » issu du Congrès de Vienne (1815).

Cette rupture a en partie mené, par effet de dominos, au XXsiècle tel que nous l’avons connu, à l’affrontement de ces « deux hercules au Berceau », la Russie et l’Amérique, entrevus par Napoléon en 1820. Et c’est cette même Crimée qui aujourd’hui se retrouve à l’épicentre d’une reprise (au minimum) de la guerre froide, telle une sinistre évocation d’Ouroboros. Ce siècle meurtrier n’a manifestement pas dit son dernier mot.

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