La route est glissante et la visibilité, mauvaise. Pour ne pas foncer dans le décor, la Banque du Canada négociera prudemment le virage de sa politique monétaire, alors qu’elle annoncera mercredi la première de quatre ou cinq hausses de son taux directeur cette année. Ce scénario est à prendre avec un grain de sel de déglaçage, car la Banque ne décide rien d’avance.

À 5,1 %, l’inflation est au plus haut depuis 30 ans, bien au-delà de la cible de 2 %. Malheureusement, il n’y a rien que le Banque puisse faire pour juguler l’inflation actuelle. Les changements de taux prennent de 18 mois à deux ans pour produire leurs pleins effets.

L’annonce des premières augmentations de 25 points de base (100 points égalent 1 %) aura avant tout un but psychologique : montrer que la Banque est déterminée à mater l’inflation. Le gouverneur Tiff Macklem veut éviter qu’elle ne s’incruste dans les esprits et ne modifie durablement les comportements.

Des sondages auprès des consommateurs et des entreprises, ainsi que le marché à terme des taux d’intérêt, reflètent encore l’anticipation d’un retour de l’inflation à 2 % à moyen terme. Toutefois, une inflation persistante pourrait désancrer ces attentes et s’envoler rapidement.

La situation est plus compliquée que dans les cycles économiques passés, car l’inflation actuelle est en grande partie attribuable à des facteurs mondiaux agissant sur l’offre, sur lesquels la banque centrale n’a aucune emprise et qui pourraient être assez longs à se dissiper.

Pensons aux goulots d’étranglement des chaînes d’approvisionnement mondiales. La Chine, le plus grand atelier du monde, maintient une politique zéro COVID-19 des plus sévère, car ses vaccins sont impuissants face aux variants. Ses usines, ses ports, voire des villes entières peuvent être fermés pour une poignée de cas.

L’offre qui ne suffit pas à la demande finira par s’ajuster, mais cela pourrait être long et entraîner des coûts plus élevés, transmis aux clients. Par exemple, les deux usines de microprocesseurs qu’Intel construit en Ohio et qui entreront en production en 2025.

La Banque est également impuissante devant les fortes hausses dans le secteur de l’énergie provoquées par l’agression russe en Ukraine, la plus grande discipline des producteurs américains de pétrole de schiste et une transition laborieuse vers les énergies renouvelables.

Elle est tout autant démunie face aux changements climatiques qui dévastent des récoltes et font grimper le prix des denrées. Elle ne peut rien non plus face à l’inflation américaine, qui s’infiltre par le commerce transfrontalier.

Unique levier de la Banque du Canada, les taux d’intérêt n’ont d’effet que sur la demande. Et encore.

Les hausses de taux auront un impact limité sur le comportement des consommateurs frustrés par les contraintes de la pandémie et qui se gâtent dans les magasins avant de reprendre la route des vacances. Cette demande refoulée est alimentée par l’épargne accumulée depuis deux ans, surtout chez les personnes qui ont conservé leur emploi ou dont les pertes ont été compensées par l’aide gouvernementale.

C’est principalement le secteur de l’habitation qui sera frappé par les hausses de taux, en particulier les premiers acheteurs potentiels, rebutés par des mensualités plus élevées, ainsi que les propriétaires qui devront se serrer la ceinture au renouvellement de leur hypothèque.

On devrait également observer un fort repli des déficits publics, qui ont dopé l’économie depuis deux ans. Mais attendons de voir les budgets du printemps pour prendre la mesure du nécessaire relâchement du stimulus budgétaire.

Enfin, il faudra surveiller l’évolution des salaires dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, où le rapport de force favorise maintenant les employés.

Mais la grande question pour la Banque est de savoir à quel niveau de taux d’intérêt elle obtiendra la modération désirée de la demande. La réponse, que personne ne connaît, apparaîtra graduellement dans les indicateurs économiques comme les mises en chantier, d’où le besoin de hausses graduelles et ponctuées de pauses pour analyser une situation changeante.

De l’assouplissement au resserrement quantitatif

En novembre dernier, la Banque du Canada a mis fin à l’achat massif d’obligations du gouvernement fédéral, mais remplace encore celles qui arrivent à échéance. Leur poids au bilan a plus que quadruplé en deux ans. Cette semaine, on attend des indications sur leur réduction graduelle à venir, en ne remplaçant pas tous les titres échus.

Notre banque centrale ne sera pas seule à hausser son taux directeur et à procéder à un resserrement quantitatif. La Fed fera de même en mars et d’autres banques centrales ont déjà commencé à durcir leur politique monétaire.

Beaucoup de financiers pensent qu’elles ont pris du retard, qu’il faut rattraper rapidement, surtout aux États-Unis. On le voit sur le marché obligataire nord-américain, qui anticipe cette année de six à sept hausses, portant les taux directeurs à au moins 2 %. Ce n’est pas impossible, mais les économistes des banques canadiennes sont plutôt d’avis qu’elles seront moins nombreuses ici, soit quatre ou cinq.

Ces mêmes banques entrevoient une ou deux dernières autres hausses en 2023, pour un sommet cyclique du taux directeur à 2,25 %. On verra bien, car beaucoup de choses bougeront d’ici là.

Une inconnue importante est l’effet qu’aura l’augmentation des taux sur la valeur des actifs financiers et sur l’immobilier, qui ont énormément profité du niveau plancher des taux et des liquidités abondantes : une simple correction boursière, comme en ce moment ? Ou un cycle baissier plus long ? Les banques centrales se sentiront-elles obligées de sauver la peau des investisseurs pour préserver la stabilité du système financier ?

Assistera-t-on à une inversion de la courbe des rendements, où les taux d’intérêt à court terme passent au-dessus des taux longs, le présage classique (mais non infaillible) d’une récession ?

Malgré une boule de cristal embrouillée, la Banque du Canada doit augmenter le coût du crédit pour empêcher que l’inflation ne s’emballe. Elle doit cependant éviter des hausses trop rapides ou trop nombreuses, qui plongeraient l’économie en récession, sans pour autant écraser une inflation qui lui échappe en partie. Il lui faudra beaucoup de doigté pour éviter un scénario de stagflation.

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