Dans son projet de loi nº 96, le gouvernement Legault inclut deux modifications unilatérales à la partie V de la Loi constitutionnelle de 1867, à savoir que le français est la seule langue officielle du Québec et que les Québécois forment une nation. Cette mesure-spectacle consiste en un règlement au rabais des intérêts du Québec et en un signe de capitulation vis-à-vis du tort historique et politique que le gouvernement fédéral a causé au Québec en lui imposant la réforme constitutionnelle de 1982, laquelle, en plus d’être illégitime et d’avoir été faite de manière antidémocratique, nie l’existence nationale du peuple québécois.

D’abord, l’inscription du français comme seule langue officielle du Québec dans le texte de 1867 ne changera rien au fait que celui-ci n’a toujours pas de version officielle française, malgré ce que stipule l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982, c’est-à-dire que le ministre fédéral de la Justice doit rédiger la version française des articles restés unilingues, ce qui n’a jamais été fait jusqu’ici. En effet, la loi qui a créé la Province of Quebec – et qui a été promulguée par le Parlement britannique – n’est toujours pas officielle en français, sans compter que cette constitution impose au Québec un bilinguisme institutionnel auquel il ne peut pas déroger et qui l’empêche de faire du français la véritable langue nationale du Québec.

Ensuite, pour ce qui est de l’affirmation de la spécificité québécoise, l’amendement que le gouvernement désire apporter à la Loi constitutionnelle de 1867 n’aura d’incidence ni sur le plan supra-législatif, si ce n’est que dans l’ordre interne québécois, ni sur l’accroissement des pouvoirs législatifs du Québec, ni sur la reconnaissance de celui-ci comme nation au sein de la fédération.

Par cet ajout, les Québécois auront l’impression que leur existence nationale est formellement reconnue par la partie fédérale de la Constitution du Canada, ce qui n’est pas le cas, puisque la modification proposée par Québec ne relève que de sa constitution interne et non de la constitution fédérative applicable à tout le pays.

Ce n’est pas un hasard si cette mesure est proposée de façon concomitante à la formulation de demandes infructueuses en matière de langue française et d’immigration. Le gouvernement transforme l’échec de sa doctrine fédéraliste de « gains dans le Canada » en un geste de camouflage au bénéfice d’Ottawa, qui y voit une occasion en or de régler la question du Québec à un coût dérisoire.

Un fédéralisme défensif

Les demandes faites par le gouvernement Bourassa dans le cadre de l’accord du lac Meech paraissent aujourd’hui costaudes tellement sont minces les aspirations politiques du gouvernement Legault. Rappelons que les cinq conditions de l’accord étaient vues alors comme un seuil minimal : 1) la reconnaissance explicite du Québec comme société distincte ; 2) la garantie de pouvoirs accrus en matière d’immigration ; 3) la limitation du pouvoir fédéral de dépenser ; 4) la reconnaissance au Québec d’un droit de veto sur les modifications constitutionnelles le touchant ; 5) la participation du Québec à la nomination des juges en provenance du Québec siégeant à la Cour suprême.

Du haut de l’histoire, il faut constater que l’actuel gouvernement pratique un fédéralisme défensif en sacrifiant les cinq demandes traditionnelles du Québec sur l’autel de la communication politique, puisqu’il cherche à ériger un décor rassurant autour d’une réalité inquiétante : celle du déclin du poids démographique, politique et économique du Québec dans le Canada.

Refuser 1982

Enfin, suffit-il que Justin Trudeau acquiesce à une mesure sans réelle teneur juridique pour faire oublier le rapatriement unilatéral de 1982 ? Il ne faut jamais perdre de vue que le Canada s’est refondé sans le consentement du Québec et que la Charte des droits et libertés, enchâssée dans la Constitution, a été conçue en partie pour rendre inconstitutionnels certains articles de la Charte de la langue française et pour réduire les prétentions nationales du peuple québécois.

Puisque le gouvernement Legault entend utiliser la formule de modification unilatérale, il pourrait à tout le moins inscrire dans la même partie de la Loi constitutionnelle de 1867 que le Québec ne reconnaît pas la réforme constitutionnelle de 1982, ce qui, sans avoir d’effet juridique, aurait une portée politique.

D’ici à ce que le Québec ait sa propre constitution dans un État indépendant, cette disposition lierait moralement tous les gouvernements québécois afin qu’ils ne reconnaissent pas sans conditions le rapatriement de la Constitution, comme le gouvernement Couillard avait été tenté de le faire. Cela enverrait aussi le signal clair au reste du Canada que la question du Québec ne sera jamais résolue à coup de rabais.

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