« Les géants numériques doivent payer les médias », déclarait en janvier le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez.

Le gouvernement fédéral compte déposer prochainement un projet de loi sur les nouvelles en ligne. L’objectif est de forcer les géants numériques à verser des redevances aux médias pour l’utilisation de leurs contenus. Il nous faut saluer cette volonté mais on ne peut s’empêcher d’ajouter, qu’il était temps.

Depuis leurs tout débuts, Facebook, Twitter et Google s’approprient des textes et des reportages journalistiques sans verser quoi que ce soit, ni à leurs auteurs ni aux médias concernés. Comme je l’ai écrit dans mon livre Les barbares numériques, les géants numériques ont contribué ainsi, depuis trop d’années, à la déconstruction de nos médias. Ils ont détourné les revenus publicitaires, lesquels constituaient la base du modèle d’affaires de la plupart des médias au pays. Or, cette publicité sur les plateformes numériques est désormais la propriété de Google et Facebook qui, à eux seuls, récoltent 80 % des revenus publicitaires en ligne. Et en prime, les géants numériques ne versent aucun montant pour les contenus journalistiques lorsqu’ils se retrouvent sur leurs plateformes. Avec cette déconstruction, plusieurs médias ont dû fermer leurs portes au Canada au cours des dernières années. D’autres, effectuer d’importantes compressions budgétaires.

Du même coup, ils bafouent les droits d’auteur des journalistes dont les textes sont repris sur les réseaux sociaux.

À l’heure actuelle, des textes et des reportages se retrouvent par exemple sur Facebook sans qu’aucune redevance soit versée à son auteur. Absence de reconnaissance des droits d’auteur et absence de rémunération pour les médias et les journalistes. Il est plus que temps de passer à l’action.

En revanche, le défi est de taille. Ce projet de loi devrait établir comme principe, on l’espère, une reconnaissance équitable du travail effectué par les médias. En attendant, quelques médias n’ont pas attendu une loi et ont déjà négocié de gré à gré des ententes particulières avec Google et Facebook. C’est le cas, entre autres, pour Le Devoir, le Globe and Mail, la Coopérative nationale de l’information indépendante (Cn2i). C’est bien tant mieux pour ces médias, mais on ne peut pas laisser aux géants numériques le soin de choisir quels médias jouiront de cette « faveur ». Ni placer les médias dans un rôle de « quémandeur ». Ce serait dangereux pour la diversité des voix en information.

Des défis de taille

Le premier enjeu d’une telle formule de redevances est l’admissibilité des médias. En vertu de quels critères certains médias pourraient se qualifier, et d’autres pas ?

On n’a pas à retourner à la case départ. On se rappelle qu’un comité indépendant composé d’experts proposés par huit associations de journalistes au pays a déjà travaillé sur ces critères de qualification lors de la mise en place du programme fédéral d’aide aux médias. Une grande partie du travail est donc déjà fait.

L’admissibilité des grands médias reconnus tels Le Devoir, La Presse, Radio-Canada les grands médias du groupe Québecor va de soi. Mais comment obtenir ces redevances lorsqu’un média est plus petit ? Pensons, par exemple, à des médias hebdomadaires issus des communautés culturelles des Premières Nations, ou à des journaux locaux et régionaux. Ou à d’autres, comme le média numérique « Pivot » ou encore le magazine À bâbord. Qui tracera la ligne ? C’est là un enjeu important.

L’autre défi, que fait-on des médias comme Rebel News ou Radio X ? Collision en vue…

D’autre part, si le but est de protéger les nouvelles en ligne, quels contenus seront considérés comme des nouvelles ? Que fait-on des chroniques ? Des enquêtes produites par des documentaires ?

Des questions en suspens

Enfin, l’autre dimension à clarifier sera la formule de négociation. Y aurait-il une négociation groupée de plusieurs médias ou chaque média devra négocier seul à seul avec Google ou Facebook ?

Par ailleurs, une fois que la législation entrera en vigueur, que restera-t-il des ententes déjà établies entre Google, Facebook et quelques médias ?

Et si ça bloque, quelles seront les possibilités d’en appeler de la décision ? Auprès de quelle instance ? On le voit, plusieurs questions devront trouver une réponse dans le projet de loi.

En janvier, le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, indiquait que la législation s’inspirerait de ce qui s’est fait en Australie au cours de la dernière année. On se rappellera qu’après un bras-de-fer avec Google et Facebook, le gouvernement australien avait finalement obligé ces géants numériques à établir des ententes avec les médias. Mais la formule retenue ne privilégiait alors que des médias « choisis », parmi lesquels figurent évidemment ceux de l’empire de Rupert Murdoch qui détient la vaste majorité des grands médias australiens. En ce sens, il est important que le modèle proposé au Canada privilégie une formule favorisant un large accès à ces redevances.

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