Après l’ouest et l’est de Montréal, c’est au tour de la Rive-Sud de se faire imposer un REM. La méthode est éprouvée. On laisse sur la touche l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), on demande à CDPQ Infra de décider si, sur le seul critère du retour généreux sur investissement, le projet l’intéresse et, si c’est le cas, on annonce un projet dont le mode − un train léger aérien − est d’emblée retenu, sans qu’aucune étude de pertinence n’ait été réalisée, et ce, peu importe les besoins et la nature des milieux où il sera implanté.

Ici, pas de mise en concurrence, pas même au stade des études préparatoires. L’hypothèse d’un tramway sur laquelle on travaillait depuis quelques années est simplement balayée du revers de la main. Puis, pour faire passer cette rebuffade, on se montre beau joueur : la Ville de Longueuil sera invitée à la table des partenaires. Mais, qu’on se le dise, les jeux sont faits. Ce sera le REM 2,0 ou rien.

La gouvernance autoritaire privilégiée par Québec dans ce dossier permet − encore une fois − de forcer le jeu et, en court-circuitant les modalités et les étapes usuelles de planification de projets de cette envergure, d’occulter le fait qu’on – et en particulier les élus municipaux – ne sait toujours pas ce que coûtera réellement le REM de l’Ouest et encore moins le REM de l’Est, tant en ce qui concerne les immobilisations que les coûts récurrents.

On demande donc aux élus de la Rive-Sud de manifester une confiance aveugle envers un organisme qui a cultivé, sous couvert de secret industriel, l’opacité des processus décisionnels depuis le début de la saga du REM.

Mais, en annonçant de manière précipitée cette annonce, dont la portée électoraliste est par trop évidente, le premier ministre entend faire diversion. Il lui faut faire oublier, ou du moins banaliser, la remontrance infligée à CDPQ Infra par l’ARTM et la Société de transport de Montréal (STM), ainsi que les charges à bride abattue menées par sa ministre de la métropole contre les deux organismes. Mais il fait également le pari que les Longueuillois et leurs élus accepteront plus volontiers de livrer en pâture le Vieux-Longueuil et d’autres quartiers sensibles à CDPQ Infra. Il pourrait dès lors faire la leçon à la mairesse de Montréal et à ceux qui s’opposent au REM de l’Est.

D’autant que le premier ministre s’est fait rassurant en suggérant qu’il suffirait de peindre en blanc les piliers de l’infrastructure pour en garantir l’intégration. Cela en dit long sur le sérieux avec lequel ce dernier accueille les craintes légitimes des citoyens et les mises en garde sévères des experts. Mais, cela montre aussi que les ténors du gouvernement et les responsables du projet chez CDPQ Infra font preuve, dans ce dossier, d’une insensibilité inadmissible au regard des dimensions architecturales et urbanistiques du projet. Que rien, dans ce qui est désormais observable sur le terrain dans le cas du REM de l’Ouest, n’ébranle les certitudes des uns et des autres est tout simplement hallucinant.

Tout se passe comme si les performances, les retombées économiques et les vertus environnementales autoproclamées du REM justifiaient les stigmates infligés au paysage urbain et aux environnements bâtis de proximité.

Le gouvernement Legault est en train d’ériger le pire legs infrastructurel qu’aura connu le Québec depuis la construction, dans les années 1960 et 1970, des autoroutes, qui ont détruit en partie et défiguré les quartiers centraux de Montréal, Québec et Gatineau et dont les impacts sévères doivent aujourd’hui être corrigés à grands frais, si tant est qu’il est possible de le faire. Or, contrairement à ce qui s’est généralement passé à l’époque, il n’est pas admissible aujourd’hui de plaider l’ignorance. Les critiques formulées au cours des trois dernières années par de nombreux spécialistes en transports et professionnels de l’aménagement ne laissent aucun doute. L’impact négatif sur les milieux bâtis sera considérable et irréversible, signature architecturale ou pas.

Il est encore temps d’éviter l’irréparable. Mais, pour cela, il faut faire preuve d’humilité et reconnaître qu’on s’est trompé. D’autres l’ont fait dans le passé. Cela a permis d’éviter, au début des années 1960, la construction d’une autoroute surélevée dans l’emprise de la rue de la Commune, et l’érection, dans les années 1980, d’un ensemble immobilier dont l’implantation dans l’axe de McGill College aurait détruit la percée visuelle sur le mont Royal. Sans compter, le rejet par les autorités du Vieux-Port, à la suite de mobilisations citoyennes, des projets immobiliers dont la construction nous aurait privés d’un réaménagement portuaire dont on reconnaît internationalement les mérites.

Tirons parti de ces expériences. Accordons-nous les moyens d’une réelle réussite en redonnant aux villes et à l’ARTM la responsabilité de penser l’aménagement de la métropole et de son système de transport collectif.

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