En réaction à la lettre de l’ancien directeur du collège Dawson, Richard Fillion, publiée le 5 février⁠1

Monsieur Fillion, vous contenez mal votre colère devant la perte de la subvention de 100 millions de dollars pour l’expansion de Dawson, pièce maîtresse de votre héritage. C’est compréhensible. Toutefois, nous déplorons que vous en profitiez pour répandre des inexactitudes sur la dynamique concurrentielle des deux réseaux, français et anglais, financés par l’argent des Québécois.

Cette dynamique affaiblit systématiquement le réseau français. Depuis des décennies. Pendant que le réseau anglais fait bombance en encaissant les surplus correspondant à plus du double du poids de la communauté anglophone, les cégeps français de la grande région de Montréal crient famine. Ces vases communicants agissent d’ailleurs puissamment au profit de l’anglais dans toutes les autres provinces du Canada, y compris dans le pourtant bilingue Nouveau/New Brunswick.

Là, ce qui s’opère tout naturellement par la force d’attraction de l’anglais, ici, notre situation géolinguistique nous impose de le faire par la loi.

C’est l’évidence : au Québec et au Canada, mettre les deux langues sur le même pied, c’est mettre les deux pieds sur la même langue.

Vous devez cesser de prétendre que les défenseurs du réseau français désirent faire « porter l’odieux du déclin du français » aux jeunes. Ils suivent simplement la tendance vers laquelle les poussent non seulement tout le reste de l’Amérique du Nord, mais plus encore nos élites déjà fortement anglicisées.

Vous devez aussi cesser d’affirmer que le réseau français est inapte à enseigner correctement l’anglais. Au contraire, il y arrive de manière si efficace que les Québécois sont aujourd’hui les Canadiens les plus bilingues ! Il y a belle lurette que l’ensemble du cursus scolaire québécois, du primaire au cégep, a intégré des cours d’anglais de plus en plus nombreux, exigeants et sérieux, y compris au niveau collégial.

Vous devez cesser de prétendre que nos inquiétudes se fondent sur de « prétendus experts » que vous réduisez à des « commentateurs et acteurs politiques » empreints de « relents de ressentiment » qui se sont ralliés derrière une « narration de faits » propre à la fiction. Passons sur le fait que les dictionnaires associent le terme « relents » au racisme, et concentrons-nous sur la crédibilité de nos sources.

Les linguistes ou chercheurs chevronnés du calibre de Marc Termote, Charles Castonguay et Frédéric Lacroix n’écrivent pas de romans et ne nous racontent surtout pas d’histoires. Pas plus que la majorité de ceux qui ont défilé en commission parlementaire sur le projet de loi 96. Dans leurs écrits documentés, leur prose aride et serrée se concentre sur des chiffres, des graphiques, des statistiques aussi froides que rationnelles, et qui se lisent âprement tant les constats qu’ils mettent en évidence sont durs. Lisez-les : vous y apprendrez que le réseau des cégeps français a commencé à décliner dès 1995 au profit de son double anglais, et est aujourd’hui déclassé dans l’île de Montréal, où l’on diplôme désormais plus en anglais qu’en français au préuniversitaire.

Vous devez cesser de nous accuser de traiter les cégeps anglais de « vilains », puisqu’ils font seulement ce que leur permettent la loi et l’attractivité naturelle de l’anglais. Si vous cherchez des « vilains », voyez-les plutôt du côté de nos élus qui ont trop longtemps cru bien agir en laissant les cégeps anglais servir d’aimants à allophones sur un continent où le français lutte à armes inégales pour conserver sa petite place au soleil.

Des ghettos du mauvais bord

Par ailleurs, vous devez cesser de prétendre que l’extension de la loi 101 au collégial « créerait des ghettos » des deux côtés de la barrière de la langue. L’une de vos erreurs est d’attribuer uniquement aux cégeps anglais le rôle de construire des ponts avec les francophones. Nous avons une meilleure idée pour vous… Par peur des ghettos, invitez plutôt les Anglo-Québécois à faire « le meilleur choix » pour leur avenir : s’inscrire en masse dans les cégeps français. Parce qu’en ce moment, ce sont eux qui « créent un ghetto » du côté français, qu’ils fréquentent très peu. Cela démontre qu’ils ne croient pas, comme vous, qu’il soit essentiel de changer de réseau pour apprendre une langue minoritaire. Alors pourquoi faudrait-il qu’un francophone étudie deux ou trois années complètes en anglais pour maîtriser la langue hégémonique et majoritaire de notre continent ? Ici, vous raisonnez à sens unique.

Ainsi, en partie rassemblées sur la rive française du fleuve, les deux solitudes construiraient des tas de petits ponts épatants. En prime, le réseau français cesserait de perdre ses forces vives au profit de son doublon anglais.

L’ouverture à la diversité et la tour de Babel doivent converger vers les cégeps français, et non l’inverse.

Nous pressentons que vos propos cachent une tentative de rejoindre le camp qui incarne le mieux l’ouverture. Excellente idée ! Rejoignez-nous du côté français : il contribue très bien à entretenir une diversité reposant sur un socle unique et original sur notre continent, celui d’une société francophone affirmée, qui crée et innove dans une autre langue que celle de l’empire.

Enfin, usez donc de votre influence pour expliquer aux anglophones pourquoi ils devraient s’ouvrir davantage à notre différence, et qu’un Québec francophone fort et fier est bon pour eux autant que pour nous. Le réseau français a besoin d’oxygène, et non de continuer à se vider par le haut.

*Cosignataires, du Regroupement pour le cégep français : Stéphane Beauregard, Frédéric Belzile, Georges-Rémy Fortin, Caroline Hébert, Sébastien Mussi, Richard Vaillancourt, Alexis Vaillancourt-Chartrand, Jean-François Vallée

1. Lisez « Abandon du projet Dawson : Une décision malavisée et à déplorer » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion