Le 8 février dernier, le député libéral de Louis-Hébert, Joël Lightbound, a créé toute une surprise en convoquant les médias afin de critiquer son propre gouvernement d’avoir instrumentalisé la gestion de la pandémie à des fins partisanes.

Plutôt que de créer un consensus large autour des mesures sanitaires, le gouvernement libéral aurait, selon lui, utilisé ces dernières pour attaquer les conservateurs, divisant ainsi la population. Si la sortie du député dissident a de quoi surprendre, c’est qu’elle ne cadre pas avec les normes contemporaines du parlementarisme canadien, où règne une forte discipline de parti (ou « ligne de parti »).

Dans son esprit, par contre, cette sortie n’est pas du tout opposée à un certain idéal du parlementarisme.

L’âge d’or du parlementarisme canadien

Il est courant chez les experts de voir dans les premières décennies d’existence de la fédération canadienne un certain âge d’or du parlementarisme canadien, que ce soit à la Chambre des communes ou au sein des Assemblées législatives provinciales. D’une part, ce moment est associé à un rôle particulièrement actif du « simple » député dans le déroulement des travaux législatifs. En fait, le qualificatif même de « simple » député ne faisait pas partie de la grammaire politique de l’époque : les gouvernements étaient d’ailleurs généralement composés d’une poignée de ministres seulement.

D’autre part, la force normative et pratique de la ligne de parti – qui vient contraindre l’action des députés à l’intérieur d’un périmètre idéologique circonscrit par leur parti politique – était beaucoup plus faible qu’elle ne l’est devenue dans la deuxième moitié du XXe siècle. Les forces politiques d’alors ne visaient guère à offrir à la population un programme cohérent. Le clientélisme – c’est-à-dire le fait d’utiliser les ressources publiques pour récompenser des personnes et des organisations pour leur soutien financier lors d’élections – était bien plus important.

De même, l’absence d’un réseau de télécommunication de masse permettait aux élites politiques d’ajuster leurs discours selon les différentes clientèles électorales, sans avoir à être mises devant leurs contradictions et sans souci de cohérence.

Dans ce contexte, précisément, on assistait régulièrement à des épisodes où des députés n’hésitaient pas à rompre avec la ligne de parti, où ils critiquaient souvent l’action de leur propre gouvernement pendant les périodes de questions ou devant les journalistes. Pour plusieurs, cette pratique symbolise en quelque sorte l’âge d’or du parlementarisme. Car loin d’être inféodés à un programme, à une idéologie et aux décisions prises par le leadership de leur parti, les députés cherchaient davantage à concilier leur loyauté partisane avec leur propre conception du bien commun, tout en tenant compte des intérêts spécifiques des citoyens à qui ils devaient leur élection comme représentant.

Les nouvelles normes parlementaires

Toute référence à un certain « âge d’or » contient sa part de romantisme afin de critiquer les « dérives » du présent. Mais l’idéal qui en découle permet néanmoins d’opérer un contraste efficace avec les normes et les pratiques actuelles.

De nos jours, la ligne de parti est un mécanisme de gestion de la députation extrêmement puissant au sein de la joute parlementaire.

À moins d’une rare exception, où le leader d’un parti annoncera publiquement que ses députés sont « libres » de voter selon leur conscience sur une question précise (comme le mariage gai, en 2005, ou l’aide médicale à mourir, en 2016), les députés soutiennent systématiquement la position officielle de leur parti.

Un gouvernement prenant appui sur une majorité absolue de sièges est ainsi assuré de remporter tous ses votes aux Communes.

Critiquables à maints égards, les effets de la discipline de parti ne sont pas tous négatifs : cela permet effectivement une plus grande stabilité et prévisibilité au sein de notre régime politique et, en retour, cela permet aux électeurs de mieux distinguer les offres politiques que les différents partis représentent.

Un simple éclair ou un coup de tonnerre ?

Je ne pense pas me tromper en affirmant que la sortie de Joël Lightbound ne parviendra pas à ébranler les colonnes du temple de la ligne du parti au Canada. Par contre, ce geste courageux, d’autant plus qu’effectué dans les règles de l’art et moyennant les nuances qui s’imposent dans le cadre d’un débat si clivant, a de quoi en rassurer plusieurs quant à la santé de notre vie parlementaire. Cette sortie du député de Louis-Hébert apparaît effectivement comme une bouffée d’oxygène qui appelle à une considération honnête des positions politiques adverses, sans chercher à les diaboliser. Cela permet d’élever le débat, de rehausser l’image du Parlement et de contrer les effets délétères de la polarisation.

Contrairement à Joël Lightbound, Justin Trudeau ne joue certes pas directement son avenir politique en « réagissant » (timidement) à cette dissidence. Avec une course à la direction qui s’annonce très conflictuelle et déstabilisante chez les conservateurs, quelques saisons devront passer avant qu’il ne soit dans l’intérêt de l’opposition de chercher à battre le gouvernement sur un vote de confiance pour déclencher de nouvelles élections générales. Mais il reste que c’est là une très belle occasion pour Justin Trudeau de s’élever au-dessus de la partisanerie mesquine et, qui sait, travailler à bonifier son faible legs historique à titre de premier ministre. Après tout, a fortiori dans le contexte où on invoque la Loi sur les mesures d’urgence, il ne doit pas oublier qu’il ne gouverne pas seulement pour sa base militante… mais bien pour tous les Canadiens.

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